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Cet article est extrait du Cahier des tendances 2022. Analyse et synthèse de l’actualité 2022 par les professionnels de l’E&C, le cahier des tendances en propose certaines clefs de compréhension et éclaire, par le prisme de la réflexion éthique, les trajectoires économiques qui s’ouvrent, leurs conditions et leur limites.
Salariés : à la recherche du sens perdu
2021 avait été marquée par la « Grande démission » outre-Atlantique : 47 millions d’américains avaient démissionnés – sur environ 162 millions d’actifs – soit près d’un salarié sur 3. En 2022, le phénomène ne s’essouffle pas : si le record établi en novembre 2021 – 4,5 millions de démissions en un mois – n’a pas été égalé (à l’heure où sont écrites ces lignes) la tendance, elle, se confirme. Plus encore, d’autres économies commencent, elles aussi, à connaître une accélération des taux de démission. C’est le cas en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne mais également en France ! Selon la Dares (la Direction de l’animation de la recherche et des statistiques dépendant du ministère du Travail), le niveau des démissions en France n’est pas inédit, mais bel et bien élevé – aux alentours de 2,7% aux premier semestre 2022 ce qui est similaire au taux américain !
Reste que les situations ne sont pas forcément comparables et que peu d’actifs français semblent décider à quitter le marché de l’emploi comme cela a pu être le cas aux Etats-Unis. La difficulté pour de nombreuses entreprises françaises à recruter rend par ailleurs plus facile l’acte de démissionner. Le marché du travail semble connaître en 2022 un rééquilibrage du rapport de force en faveur des travailleurs dont le pouvoir de négociation sur le salaire et les conditions de travail s’accroît. Rien que de très banal ?
Peut-être, mais s’ajoutent à ces données d’autres phénomènes qui apparaissent comme de véritables signes des temps. Ainsi, la pratique du quiet quitting, ou démission silencieuse, soit le fait de s’économiser et de se limiter strictement aux seules tâches prévues par son contrat de travail toucherait 43% des actifs de moins de 35 ans en France, selon une étude IFOP parue en octobre. Surtout, la rapidité et la force avec lesquelles le terme s’est imposé tend à démontrer sa puissance mobilisatrice.
Par ailleurs, de nombreux appels à bifurquer voire à déserter des emplois « destructeurs » lancés par des étudiants d’écoles prestigieuses lors de leur remise de diplôme ont marqué l’année. AgroParisTech, HEC, Centrale, aucune grande école ne semble devoir y échapper… Déjà en 2018, à l’occasion de la parution du Manifeste pour un Réveil Écologique signé par près de 30 000 étudiants, les jeunes générations affichaient leur « détermination à changer un système économique en lequel elles ne croient plus » et à « choisir leur job » en fonction des engagements de leurs futurs employeurs. L’étude menée en mars par Bpifrance Le Lab (le laboratoire d’idées de la banque publique d’investissement) confirme cette tendance : 63% des 18-25 ans et 74% des BAC+5 estiment que les entreprises devraient privilégier des engagements sociaux et environnementaux à un strict développement économique.
La recherche de sens au travail semble néanmoins s’inscrire, de façon plus large, dans un nouveau rapport au travail influencé notamment par le désir d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, par la volonté de se protéger de situations de fatigue ou de surmenage – 41% des salariés français se trouveraient dans un état de détresse psychologique en 2022 – et par une crainte vis-à-vis de l’avenir chez les plus jeunes générations notamment.
Dans ce contexte, les entreprises ne semblent pas avoir d’autres choix pour convaincre que d’engager une réflexion radicale tant d’un point de vue stratégique sur leur raison d’être et leur modèle de développement qu’opérationnellement sur les conditions de travail et de management qu’elles proposent. A ce titre, certains observateurs notent que les pays offrant aux salariés une plus grande participation aux choix stratégiques sont moins sujets aux envies de désertion. Une voie de sortie de crise ?