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Cet article est extrait du Cahier des tendances 2022. Analyse et synthèse de l’actualité 2022 par les professionnels de l’E&C, le cahier des tendances en propose certaines clefs de compréhension et éclaire, par le prisme de la réflexion éthique, les trajectoires économiques qui s’ouvrent, leurs conditions et leur limites.

 

Lutte d’influence sur les normes comptables

Nicolai Tangen, directeur du fonds souverain norvégien, le plus gros du monde avec environ 1 200 milliards d’euros d’actifs sous gestion, a souhaité prévenir les députés norvégiens lors de sa traditionnelle audition par la commission des finances : « Nous allons sans doute au-devant des plus importants changements depuis 30 ans ». Dans ce contexte, pour les entreprises qui n’intègrent pas les critères ESG « il n’y a nulle part où se cacher ».

Cette déclaration n’est qu’une des multiples illustrations du poids croissant de la notation extra-financière sur les décisions et les modalités d’investissements et d’assurance. Mais pour l’instant, le secteur ressemble à un véritable far west où les rivalités entre organismes de normalisation et les agences de notation entraînent une multiplication des cadres, des référentiels, des méthodologies et des indicateurs auxquels les entreprises sont invitées à se soumettre.

Pour faire cesser cette extrême confusion, l’heure est à l’harmonisation. L’enjeu est immense, tant pour assurer un meilleur fléchage de l’investissement vers des activités éthiques et soutenables et ainsi financer l’indispensable transition écologique que pour les acteurs concernés pour imposer leur référentiel et jouer avec les règles qu’ils auront participé à définir. Dans ce contexte deux camps se font face, l’International Sustainability Standards Board (ISSB), émanation de la très anglo-saxonne fondation IFRS (International Financial Reporting Standards), et l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG), association mandatée la Commission Européenne pour établir un référentiel.

Une lutte d’influence entre « pragmatisme anglo-saxon » et « rigueur européenne » qui se cristallise autour d’un point d’achoppement : alors que l’analyse ESG portée par les Etats-Unis repose sur une matérialité dite simple, l’Europe défend le principe de double matérialité. La différence est de taille : alors que la première méthodologie intègre seulement les impacts positifs et négatifs de l’environnement – économique, social ou naturel – sur l’activité de l’entreprise, le référentiel européen intègre en outre les impacts de l’entité considérée sur son environnement !

Tandis que la matérialité simple se voit reprocher son manque de rigueur scientifique et son incapacité à répondre effectivement aux défis – notamment environnementaux – actuels, l’EFRAG est critiquée pour son manque de concertation et surtout, pour « l’extrême complexité » du dispositif selon l’Afep (Association Française d’Economie Politique) qui soutient désormais la démarche de l’ISSB.

Dans ce contexte certains observateurs européens rappellent néanmoins qu’il n’est pas raisonnable pour les acteurs européens, en avance par rapport à leurs homologues américains sur ce sujet, d’accepter de se plier aux normes, moins-disantes, que proposent ces derniers, comme ils l’ont déjà fait en 2005, en acceptant les normes comptables IFRS pour les l’établissement des comptes consolidés. Les professionnels de l’intelligence économique le savent : l’établissement des normes, qu’elles soient juridiques, comptables ou informatiques s’avère non seulement porteur de valeurs mais procurent également souvent un avantage décisif pour l’acteur qui parvient à les imposer. L’Europe en ayant déjà fait l’amère expérience, saura-t-elle y échapper cette fois ?

Information de dernière minute avant publication de ce cahier : le 10 novembre 2022, le parlement européen a très largement adopté la directive dite CSRD (pour Corporate Sustainability Reporting Directive) consacrant le principe de double matérialité. Près de 50 000 entreprises européennes seront donc prochainement contraintes de publier des données sur l’impact environnemental et social de leurs activités.

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