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Cet article est extrait du Cahier des tendances 2022. Analyse et synthèse de l’actualité 2022 par les professionnels de l’E&C, le cahier des tendances en propose certaines clefs de compréhension et éclaire, par le prisme de la réflexion éthique, les trajectoires économiques qui s’ouvrent, leurs conditions et leur limites.

 

L’indispensable éthique des technologies

En 2022, la numérisation – la conversion de la réalité sensible et matérielle en données numériques – continue et s’amplifie. Selon une étude Statista (reproduite dans la version PDF du cahier), la quantité totale de données créées, capturées, copiées et consommées dans le monde augmente rapidement. De 2 zettaoctets en 2010, elle est d’environ 97 cette année et devrait atteindre les 181 à l’horizon 2025. Impossible pour un cerveau humain de se représenter de telles quantités : un zettaoctet équivaut à un milliard de téraoctet, soit mille milliards de giga-octets…

La hausse est plus importante que prévue. Outre le fait que le nombre d’utilisateurs de services numériques augmente à travers le monde, c’est surtout l’explosion de la demande dans les pays industrialisés qui semble être la cause de cette surprise. Depuis la pandémie, l’apprentissage et le travail à distance se sont généralisés. Surtout, la volonté de numériser un maximum d’informations pour perfectionner les algorithmes, de connecter massivement de nouveaux objets à usage professionnel et privé au réseau, et pour cela de déployer de nouvelles infrastructures, comme la 5G, entraînent inévitablement un accroissement du volume total de données créées, transférées et stockées.

Pourtant, certaines technologies annoncées comme révolutionnaires semblent marquer le pas. La blockchain n’a pas encore fait disparaître les tiers de confiance, le marché des cryptomonnaies s’est retourné laissant apparaître de profondes fragilités, certains observateurs n’hésitent plus à parler « d’automne de l’IA » et le Metavers, lancé il y a seulement un an, peine à convaincre, même en interne, à tel point que l’entreprise oblige désormais ses salariés à organiser leurs réunions sur la plateforme !

Rien n’indique que ces difficultés ne seront pas surmontées dans les années à venir mais le temps des promesses spectaculaires semble révolu pour laisser place à une adoption, tout aussi massive, mais plus rationnelle et moins exaltée, des nouvelles technologiques. Dans ce contexte, la présentation par Elon Musk, le fantasque patron de Tesla, d’un nouveau robot humanoïde censé « transformer la civilisation » et bâtir « un futur d’abondance dans lequel il n’y aura pas de pauvreté » n’a pas séduit les marchés et a entraîné une chute de 8% des actions Tesla.

La croyance des entrepreneurs de la « Tech » que toute problématique humaine pourra être résolue grâce à une application technologique, attitude qualifiée de « technosolutionnisme » par certains contradicteurs, ne semble plus convaincre autant qu’en 2012 lorsque l’ex-CEO de Google, Eric Schmidt, déclarait lors d’une conférence : « si nous nous y prenons bien, je pense que nous pouvons résoudre tous les problèmes du monde ».

Il faut dire que depuis, un voile semble s’être levé tant sur les conséquences sociétales indésirables du numérique que sur son prodigieux coût environnemental. Profilage, manipulation neuropsychologique, atteinte à l’autonomie, comportements addictifs, biais discriminatoires, ubérisation, travail du clic, engloutissement d’énergie, voracité en matières premières, etc. Le numérique prouve encore une fois s’il le fallait, qu’aucune technologie n’est neutre, que la plupart sont ambivalentes et, surtout, que le progrès technique n’est pas ipso facto facteur de progrès humain.

Un avertissement clairement énoncé dans une tribune intitulée « Our Planet, Our Future », publiée en 2021 et co-signée par 126 prix Nobel : « Dans l’ensemble, les avancées technologiques ont jusqu’ici précipité la déstabilisation de la planète. Sans encadrement, le développement technologique est peu susceptible de conduire à des transformations vers la durabilité ». Ils ajoutent : « il est essentiel de diriger la révolution technologique de manière délibérée et stratégique au cours des prochaines décennies afin de soutenir des objectifs sociétaux. »

Un appel clair en faveur d’une véritable éthique des technologies capable de distinguer les technologies socialement utiles de celles qui nuisent à l’environnement ou participent à aliéner les êtres humains. Une manière aussi de désavouer Albert Einstein qui alertait déjà au siècle dernier : « La perfection des moyens et la confusion des buts semblent caractériser notre époque ».

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