Tandis que l’exigence pour plus d’éthique se renforce et s’institutionnalise, les grandes entreprises s’interrogent sur les manières de faire vivre la culture et la réflexion éthique, tandis que celles de taille plus modestes luttent pour déployer des programmes aux coûts humains et financiers raisonnables. Au-delà des procédures et des codes de bonne conduite, comment diffuser une culture de l’intégrité ? Par quels moyens ? Quelle formation assurer de manière prioritaire et pour qui ? Panorama des réflexion de nos membres sur le sujet.
Un éthique à hauteur d’homme
L’exigence d’une « éthique » des organisations n’a jamais semblé si importante. Recherche des conditions d’une « vie bonne, aujourd’hui et demain, dans des institutions justes, au service du lien écologique et social », selon la philosophe Cécile Renouard, la démarche éthique conduit les entreprises à adopter des politiques de conformité et de responsabilité sociétale de plus en plus fines.
Institutionnalisée, l’éthique devient souvent conformité – entre loi Sapin II, devoir de vigilance, RGPD, et CSRD – les exigences légales portant sur les entreprises ne cessent de se renforcer. C’est vrai pour les multinationales, comme, de plus en plus, pour les moyennes entreprises, du fait de l’abaissement successif des seuils d’application de la loi et par effet de cascade des obligations des entreprises donneuses d’ordre vers leurs fournisseurs et sous-traitants.
Cette tendance semble conforme avec l’évolution des mœurs sur le sujet et des exigences des salariés-citoyens vis-à-vis de leur employeur. Ainsi 51% des américains et 45% des britanniques se disent prêts à quitter leur entreprise pour des motifs éthiques, tandis que, selon le Baromètre du Climat éthique 2023, mené par le CEA, 89% des salariés français se disent prêts à démissionner s’ils constatent des pratiques de harcèlement ou de discrimination.
Au-delà des procédures et des codes de conduite, les directions éthique et conformité ont donc la charge de faire vivre une culture éthique homogène et cohérente, ciment indispensable de toute politique basée sur des valeurs ou des principes à « hauteur d’homme ». Cet exercice passe notamment par de la formation, de la communication et de la sensibilisation en continue sur ces sujets.
Mais les freins pour ce faire apparaissent nombreux et sont communs à toutes les sociétés, quel qu’elle soit leur taille : l’exercice est chronophage, coûteux et se heurte souvent à une lassitude des opérationnels de plus en plus soumis à des obligations de formation en tout genre.
Des exigences à satisfaire
Dans ce contexte, les entreprises s’interrogent sur les moyens à déployer pour permettre une (in)formation suffisante. Dans le cas de la loi Sapin II relative à la lutte contre la corruption, la formation est un pilier obligatoire qui a conduit les entreprises à devoir rapidement formaliser l’exercice. D’autant plus que l’Agence Française Anticorruption réserve dans son questionnaire 13 items à cette thématique[1].
Aussi la grande majorité des entreprises a déjà adopté des plans de formation basés sur l’identification, eu égard à la cartographie des risques des populations dites « à risque » et devant par conséquent être formées de manière prioritaire. Ces collaborateurs ont pour la plupart bénéficié de formation renforcée, souvent en présentiel, parfois au moyen d’e-learning détaillés.
Les difficultés à cet égard tiennent au renouvellement de cette formation à échéance régulière, la lassitude des opérationnels pouvant être forte et forçant les départements qui en ont la charge à fréquemment renouveler, en moyenne tous les deux à quatre ans, leur support de formation sur un sujet dont les principes, eux, n’évoluent pas.
Par ailleurs, ces formations doivent faire l’objet de mesures de suivi – l’objectif étant d’atteindre un taux de complétude proche de 100% pour les populations identifiées comme à risque. Un exercice qui n’est pas exempt d’un risque « tick the box » selon l’ensemble des professionnels consultés. Indispensable, la mesure ne peut néanmoins constituer un objectif en soi et doit s’accompagner d’efforts de formation à destination de personnes référentes et d’actions de sensibilisation plus larges.
Former les ambassadeurs
Outre les populations « à risque », les directions E&C se doivent ainsi de former prioritairement aux enjeux dont elles ont la responsabilité, les personnes pouvant servir de relais d’influence en interne.
A cet égard, les membres du COMEX, dont le « ton from the top » est attendu restent des interlocuteurs privilégiés. Ainsi de nombreux professionnels proposent, et parfois imposent, des sessions de formations dédiées aux membres de la direction, ou des e-learnings réguliers. Leur complétude est une preuve d’exemplarité qui peut être communiquée en interne.
Outre les membres du COMEX, les directions E&C s’appuient de plus en plus systématiquement sur des réseaux d’ambassadeurs formés aux enjeux E&C et responsables de diffuser les actions de sensibilisation et d’information du Groupe.
La montée en puissance des dispositifs d’alerte interne et donc, des enquêtes internes, conduit par exemple à devoir former massivement des collaborateurs, souvent RH, capables de recueillir des signalements et de déterminer s’ils constituent une alerte éthique, voire, le cas échéant, de mener une enquête.
La dimension stratégique de l’éthique et de la conformité et le renforcement des exigences légales qui les fondent conduisent donc à « autonomiser » de plus en plus de collaborateurs afin de les rendre capables d’exercer une mission de point de contact dans leur périmètre géographique ou fonctionnel. Dans ce contexte, certaines entreprises n’hésitent plus à proposer de la formation continue à leur collaborateur en ayant besoin – 38% des individus exerçant dans une équipe E&C ne disposant pas d’une formation initiale dédiée.
Au-delà de la formation, la culture
Si la formation reste la pierre angulaire de la culture éthique en entreprise, la seconde ne saurait se restreindre à la première. Rendue parfois obligatoire, la formation ne peut en effet se passer d’actions de sensibilisation plus larges et plus diffuses, dont la fréquence peut-être plus élevée et la forme plus libre.
De nombreuses initiatives peuvent être relevées en la matière.
Ainsi, certaines équipes E&C ont fait le choix d’animer régulièrement – par exemple tous les mois – des sessions d’échange, ouvertes à tous, sur une thématique donnée. L’exercice peut être fait en ligne et durer de 30 minutes à une heure.
D’autres entreprises ont préféré créer des « kits » de communication à destination des managers leur permettant d’animer auprès de leur équipe une courte session de discussion sur un sujet donné. Souvent, elles décident alors de proposer des cas réels mais anonymisés de dilemmes éthiques. Parfois, la diffusion de ces kits est associée à la création d’objectifs pour le manager.
Afin de diffuser régulièrement de l’information à leur collaborateurs, plusieurs entreprises ont par ailleurs mis en place des newsletters voire pour certaines, des plateformes d’échanges qu’elles animent en créant des fils de discussion variés. Ces canaux peuvent notamment servir à relayer l’actualité de la matière, les actions effectuées par l’entreprise ou différents éléments de communication : podcast, mini-vidéo, interviews vidéos des membres du COMEX… En la matière, la principale limite reste l’imagination !
Enfin, de plus en plus d’entreprises choisissent de communiquer en interne les résultats de contrôles internes ou de benchmark portant sur des sujets E&C. En la matière, le Baromètre du Cercle d’Éthique des Affaires peut s’avérer un instrument utile en proposant des moyennes auxquelles se comparer. Ainsi, en 2023 seulement 63% des salariés français affirmaient avoir confiance dans le dispositif d’alerte de leur entreprise pour assurer leur protection… Et dans votre entreprise combien sont-ils ?
[1] Voir le questionnaire disponible ici : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/2021-07/Questionnaire%20art.17%20juillet%202021%20vdef%202.pdf
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