Porteur de valeurs fortes, le sport est le vecteur d’une éthique plébiscitée parmi la société. Mais dans une économie mondialisée et à l’heure de l’organisation de méga-événement sportifs, le monde du sport n’échappe pas aux risques et aux critiques qui naissent d’agissements répréhensibles ou de comportements socialement désapprouvés. Plus encore, les liens qu’il entretient avec les entreprises, mécènes et sponsors, tendent à le soumettre, de plus en plus, aux exigences auxquelles les premières sont soumises. Alors que la France s’apprête à recevoir les Jeux Olympiques 2024, après avoir organisé la Coupe du monde du Rugby, le Cercle d’Éthique des Affaires a réuni des experts pour un débat à bâtons rompus sur « éthique et sport ». Tour d’horizon des échanges.
Des liens forts
Intégrité, respect, pureté du corps, méritocratie… Les règles – homogènes et impartiales – qui encadrent la pratique sportive tendant à fonder une certaine éthique qui dépasse les différentes disciplines. Le respect de ces règles et la dimension socialisante du sport peuvent lui conférer une vocation plus fondamentale que l’olympisme coubertinien résume ainsi :
« Mettre partout le sport au service du développement harmonieux de l’homme, en vue d’encourager l’établissement d’une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. »
Préserver la dignité humaine, le sport ? Voilà, une très haute ambition éthique ! Pourtant, en Occident, le caractère pacificateur de la pratique sportive qui doit permettre de « réguler les comportements déviants et rapprocher les peuples » est largement théorisé[1].
Ainsi, le sport se révèle être un réceptacle d’un ensemble de mythes et de fantasmes d’une société qui projette sur lui ses idéaux. Dans ce contexte, il apparait également comme un espace au sein duquel une « concurrence pure et parfaite » pourrait s’exercer, en conformité avec les ambitions des sciences économiques orthodoxes.
Mais ces idéaux se heurtent aux imperfections du réel. Bien que véhiculés par le marketing sportif, ils entrent en conflits avec les intérêts mercantiles qui entourent un monde du sport toujours plus financiarisé, et toujours plus médiatisé. Certains experts le résument ainsi : « le sport et les fédérations sportives sont des PME qui, en quelques années, sont devenues des multinationales ». Ainsi, la valorisation boursière moyenne d’une franchise NBA est passé de 367 millions de dollars en 2010 à 3,85 milliards de dollars en 2023, soit une multiplication par 10[2] !
Un secteur traversé par les problématiques de société
Pas plus qu’un autre secteur le sport n’échappe aux questions de société. Ainsi, les problématiques liées aux violences sexuelles dévoilées par la vague #Metoo, ont connu de nombreux rebondissements dans le monde du sport, de la mise en place d’une plateforme de recueil des signalements par le ministère des Sports français en 2020[3], jusqu’à la récente et tonitruante démission du président de la Fédération espagnole de football après un baiser forcé sur l’une des joueuses de l’équipe nationale[4].
Plus largement, les conditions de travail des athlètes[5], comme des personnels administratifs[6] interrogent. Dans le cadre de l’organisation d’évènement internationaux, viennent s’y ajouter les questions liées au respect des droits humains sur les chantiers de construction des stades et infrastructures nécessaires au déroulé de ces rendez-vous. Si la Coupe du Monde de Football, organisée en 2022, a défrayé la chronique pour des conditions d’exploitation de travailleurs népalais qui s’apparentaient à de l’esclavage moderne[7], les JO 2024 de Paris ne sont pas exempts de tout reproche. La présence d’une centaine de ressortissants africains sans-papiers, travaillant dans des conditions de sécurité irrégulières a ainsi été documentée[8] et a fait l’objet d’une saisine du procureur de la République par l’inspection du travail.
Par ailleurs, l’impact environnemental de tels évènements dans un contexte « d’effondrement climatique [9]» concentre les critiques. Si le critère de l’impact carbone est devenu central dans l’organisation des jeux olympiques[10], la question demeure intacte dans le cadre de l’organisation de la Coupe du Monde de Football 2034 qui, selon toute vraisemblance, devrait se tenir en Arabie Saoudite[11] pays dans lequel les stades devront probablement comme au Qatar en 2022, être climatisés. Même le monde de la voile, pourtant perçu comme très écologique, n’échappe pas aux interrogations, parfois de la part des athlètes eux-mêmes, certains allant jusqu’à publiquement avouer « ne pas être fier » du bilan carbone des transatlantiques[12].
Soumis à des enjeux financiers de plus en plus importants, le monde du sport renie parfois certains des principes qui le fondent. Ainsi, l’intégrité est parfois malmenée : la FIFA a été ébranlée par des scandales de corruption à répétition[13], le président de la fédération française de rugby, Bernard Laporte, a été condamné pour corruption en 2022[14], la fédération française de tennis fait l’objet d’enquêtes du PNF pour « détournement de biens » et « corruption »[15]… Rien de très étonnant dans la mesure où les modèles économiques qui sous-tendent le fonctionnement des grands évènements sportifs, des ligues et des clubs s’avèrent de plus en plus dépendants de mécènes – riches états comme entreprises du secteur privé – dont les liquidités offertes aiguisent d’autant les appétits d’intermédiaires indélicats.
Des entreprises sponsors
Jouissant d’une exposition médiatique prodigieuse – la finale de la coupe du monde de football réunit par exemple 1,5 milliard de téléspectateurs – l’organisation de ces grands évènements participe de plus en plus d’une véritable « diplomatie sportive[16] » de la part de certains états, comme elle soutient les politiques de communication et de marketing de certaines grandes marques.
En Occident, le parrainage d’évènements sportifs – tels que les JO – par les entreprises privées s’avère désormais indispensable au regard de leur coût d’organisation[17]. Dans ce contexte, les grandes entreprises sont régulièrement sollicitées pour devenir partenaires de ces rencontres. Leur participation s’inscrit généralement dans leur politique de RSE, souvent compatibles avec les valeurs véhiculées par le sport. Il n’en demeure pas moins que ce faisant, elles supportent également les risques – pénaux, civils et d’image – que ces partenariats induisent.
Ainsi, l’affaire Paprec, du nom de l’entreprise qui a vu son PDG être mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour des soupçons de corruption relatif au parrainage d’un concours hippique organisée par l’épouse d’un élu[18], rappelle la nécessité pour les entreprises de mettre en place des procédures de contrôles anti-corruption renforcées en ce qui concerne les opérations de parrainage et de mécénat. S’il n’est pas interdit de financer des manifestations locales, la concordance de ce soutien avec l’obtention ou le renouvellement de contrats publics locaux interroge nécessairement.
Outre des procédures transparentes, claires et argumentées de sélection des projets à parrainer, les entreprises doivent également être vigilantes à mettre en place des procédures « Cadeaux et invitations » qui leur permettent de distribuer les invitations qu’elles reçoivent généralement en contrepartie de leur soutien financier.
Tous ces efforts ne sauraient en revanche supprimer le risque réputationnel de se voir associer à un scandale déclenché par la partie prenante soutenue. Dans ces conditions, il n’est plus rare de voir des sponsors mettre la pression. Ainsi, Coca-Cola, Visa, Budweiser et MacDonald ont expressément demandé la démission du président de la FIFA, Sepp Blatter, lors de la médiatisation, en 2015, de potentiels cas de corruption le visant[19]. D’autres sont allées plus loin en rompant purement et simplement leur engagement : c’est le cas par exemple d’Adidas et de Nestlé avec la Fédération internationale d’athlétisme après les révélations de cas de corruption et de dopage[20].
Quelle gouvernance pour le sport ?
Si les entreprises multinationales sont soumises à des réglementations anticorruption strictes, qu’en est-il des fédérations sportives internationales et nationales ? En vertu du concept « d’autonomie du sport », les instances sportives internationales sont pour l’instant protéger de toute ingérence des gouvernements et des états et continuent de défendre une autorégulation exigeante, sans contrôle externe.
En France, à l’occasion de l’organisation des JO2024, la question s’est posée de savoir si le Comité d’organisation (le COJO), organisation ad-hoc à but non lucratif et à durée limitée dans le temps, était légalement soumise à l’article 17 de la loi Sapin II. Bien que ce ne soit pas le cas, le Comité d’éthique du COJO a néanmoins décidé de s’y conformer. Composé de 6 membres bénévoles, désignés par la Cour de cassation, la Cour des comptes, le Conseil d’État, l’OCDE, le Défenseur des Droits, l’AFA, il s’est déjà réuni 41 fois pour traiter des sujets relatifs à l’ensemble des risques éthiques que comporte l’organisation des JO.
Si ce type de comité se démocratise, la plupart des instances sportives étant dotée d’un tel organisme, leur pertinence se mesure toujours à l’aune de leur indépendance, parfois sujette à caution[21]. Dès lors, plutôt que de compter aveuglément sur l’autorégulation, de nombreux observateurs appellent à renforcer le droit applicable aux fédérations – par exemple en les soumettant à des obligations similaires à l’article 17 de la loi Sapin II – et en instituant une structure chargée de veiller à leur bonne application et au contrôle des acteurs sportifs.
Ainsi, en juin 2023, une enquête lancée par la plateforme Play the Game, a conclu après le recueil de l’avis de plus de 200 experts de la pertinence de créer une agence internationale de lutte contre la corruption dans le monde du sport[22]. Une initiative déjà testée à un niveau national, en Australie, qui a créé en juillet 2020, une plateforme dédiée à l’intégrité dans le sport. Pourra-t-elle créer des émules ?
[1] Voir par exemple : J.Sorez, Quand faire du sport, c’est faire la guerre. Fonction performative et enjeux identitaires de la métaphore sportive en temps de guerre, disponible ici : https://books.openedition.org/pur/153312?lang=fr
[2] Ces chiffres proviennent du classement annuel Forbes sur la valorisation des franchises NBA repris ici : https://www.basketusa.com/news/588107/investir-en-nba-un-placement-fructueux/ et ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Forbes_list_of_the_most_valuable_NBA_clubs
[3] Voir : https://www.radiofrance.fr/franceinter/metoo-du-sport-72-des-agresseurs-signales-a-la-cellule-d-ecoute-du-ministere-sont-des-educateurs-sportifs-6220401
[4] Voir par exemple ; https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/espagne-le-baiser-force-de-luis-rubiales-au-c-ur-d-un-scandale_6026909.html
[5] Voir par exemple : https://www.lepoint.fr/sport/sport-de-haut-niveau-ces-methodes-cruelles-qui-ne-passent-plus-13-05-2023-2519942_26.php
[6] Voir par exemple : https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/football-apres-les-accusations-de-harcelement-moral-et-sexuel-d-un-ancien-arbitre-la-fff-lance-une-enquete-interne_5875661.html
[7] Voir : https://www.lemonde.fr/sport/article/2013/09/26/des-esclaves-nepalais-morts-au-qatar-sur-les-chantiers-de-la-coupe-du-monde_3484869_3242.html
[8] Voir : https://www.francebleu.fr/infos/societe/une-centaine-de-clandestins-travaillent-sur-les-chantiers-des-jeux-olympiques-1090306
[9] Selon les mots d’Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, voir : https://news.un.org/fr/story/2023/09/1138262
[10] Voir par exemple : https://www.bearingpoint.com/fr-fr/publications-evenements/blogs/energie/lorganisation-de-grands-%C3%A9v%C3%A9nements-sportifs-est-elle-irr%C3%A9conciliable-avec-la-pr%C3%A9servation-de-notre-environnement/
[11] Voir : https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/11/01/coupe-du-monde-2034-l-arabie-saoudite-se-dit-prete-a-faire-face-a-toutes-les-possibilites-pour-accueillir-la-competition-en-ete-ou-en-hiver_6197680_3242.html
[12] Voir l’article : https://www.francetvinfo.fr/sports/voile/des-courses-de-voiliers-pas-si-ecolos_6175521.html
[13] Voir par exemple : https://information.tv5monde.com/international/scandale-de-la-fifa-la-justice-distribue-ses-cartons-rouges-23709
[14] Voir : https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/12/13/corruption-dans-le-rugby-bernard-laporte-et-mohed-altrad-condamnes-a-de-la-prison-avec-sursis_6154209_3242.html
[15] Voir : https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/05/11/federation-francaise-de-tennis-les-pratiques-passees-du-president-creent-de-nouveaux-dechirements_6172964_3242.html
[16] Voir, C.Lopez « Sport, géopolitique er diplomatie sportive dans un monde globalisé. 2022 https://www.cairn.info/marketing-international-du-sport–9782807339095-page-65.htm
[17] Voir par exemple ; https://fr.fashionnetwork.com/news/Jeux-olympiques-2024-de-paris-lvmh-se-fait-prier,1467138.html
[18] Voir par exemple : https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/mis-en-examen-le-pdg-de-paprec-rejette-les-accusations-de-corruption_AD-202206140289.html
[19] Voir par exemple : https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Corruption-coca-cola-s-en-prend-a-sepp-blatter/595718
[20] Voir par exemple : https://www.letemps.ch/economie/apres-adidas-nestle-coupe-ponts-federation-internationale-dathletisme
[21] Voir : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/22/la-question-n-est-plus-de-savoir-s-il-faut-ou-non-une-institution-pour-reguler-le-sport-l-urgence-est-d-en-determiner-les-modalites_6195965_3232.html
[22] Voir : https://www.playthegame.org/news/clearingsport-almost-200-experts-call-for-an-agency-against-corruption-and-crime-in-world-sport/
Crédit photo : Unsplash