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Soumise aux demandes parfois contradictoires de ses diverses parties prenantes et à l’inéluctable montée en puissance des thématiques environnementales, sociétales et de gouvernance (ESG), l’entreprise ne peut plus sérieusement faire l’économie de la réflexion éthique. La généralisation des départements dédiés à ces enjeux en est une démonstration éclatante. Absorbés par les contingences opérationnelles et bousculés par la réglementation et l’institutionnalisation croissantes de la matière, les professionnels en charge de ces enjeux peuvent néanmoins manquer de temps pour penser dans leur complexité toutes les dimensions de la matière. Dans ce contexte, la création d’un Comité d’Éthique peut s’avérer judicieuse à plusieurs égards.

 

 

L’heure de l’éthique

Jamais les entreprises n’auront été autant interpellées quant à leur bilan environnemental, sociétal et de gouvernance (ESG). Que ce soit de la part des investisseurs, des collaborateurs, des partenaires d’affaires ou de la société civile, les diverses parties prenantes exercent sur les entreprises une pression, de plus en plus forte, pour faire cesser les pratiques jugées indésirables, limiter les externalités négatives ou encourager les modèles « à impact » positif.

De fait, aucune société ne semble désormais à l’abri d’un véritable questionnement éthique, pour peu que l’on accorde à ce terme la définition proposée par la philosophe Cécile Renouard ; la recherche des conditions « de la vie bonne, aujourd’hui et demain, dans des institutions justes et au service du lien social et écologique[1]» qui se matérialise, en entreprise, par un arbitrage complexe entre les demandes des diverses parties prenantes de l’organisation.

Aussi, bien que la pratique de l’éthique tende ces dernières années à s’institutionnaliser et à se cristalliser autour de certaines notions – la RSE[2], la conformité ou l’ESG notamment – sa portée effective semble encore trop restreinte face aux enjeux actuels, de l’indispensable transition écologique à l’irrépressible numérisation de la société et du travail, en passant par les interrogations relatives au partage de la valeur dans une économie mondialisée, pour ne citer ici que certaines des problématiques les plus pressantes.

Un comité d’éthique pour quoi faire ?

 

Circonscrite par des normes[1], portée par des départements aux missions et au budget arrêtés, la pratique de l’éthique court, paradoxalement, le risque de se voir amputer de sa dimension réflexive, prospective et stratégique. Elle demeure pourtant plus impérieuse que jamais dans un monde en constante mutation dans lequel les valeurs et principes apparaissent comme les seules boussoles capables d’éclairer le sens de l’action par-delà les contingences matérielles.

Pour ne pas abandonner l’éthique à la conformité juridique, il convient donc de dédier certains espaces à la pratique de la première. Le Comité d’éthique peut être l’un d’eux.

Dans ce contexte, les missions qui lui sont assignées peuvent varier. En premier lieu, le Comité peut servir d’espace de réflexion et d’aide à la décision en cas de dilemme d’une certaine gravité et, de manière plus large, dans toutes les situations à même de faire évoluer significativement la politique d’éthique de l’entreprise. Ainsi, le questionnement d’une activité à l’aune des valeurs ou le refus d’un client pour des motifs non-économiques, décisions à même de créer un précédent, peuvent être discutés dans cette enceinte. Il importe néanmoins de bien circonscrire la mission du Comité qui ne doit pas se substituer aux équipes opérationnelles et devenir un organe de décision en dernier ressort.

Car la mission fondamentale du Comité d’éthique doit rester d’ordre stratégique. Dans l’esprit de cette note, elle consiste avant tout à anticiper les enjeux émergeants et mettre en lumière les conflits de valeurs sous-jacents aux évolutions sociétales, techniques, économiques, politiques et juridiques qui traversent l’entreprise. Cela suppose une capacité d’analyse prospective qui permette la compréhension des mutations à l’œuvre et des tendances structurantes pour l’environnement socioéconomique de demain. Réalisé de manière exigeante, l’exercice doit servir aux instances dirigeantes à adopter des orientations stratégiques de long-terme éclairées et responsables.

Eu égard à cet environnement, le Comité d’Éthique fixe les piliers, valeurs et principes directeurs, de la politique d’éthique, et en définit les objectifs de long-terme. Dans les entreprises qui se sont saisis des opportunités offertes par la loi PACTE, le Comité doit pouvoir activement participer à la définition et au suivi de l’effectivité de la raison d’être ou des objectifs sociétaux et environnementaux de la société à mission. Enfin, il est le lieu où doivent pouvoir être envisagés, de la manière plus radicale possible, les éventuels « angles morts » de l’activité et où, dans un objectif d’amélioration continue, la pratique doit pouvoir être continuellement réinterrogée à l’aune des principes éthiques.

Des modalités organisationnelles qui varient

 

Une fois les missions définies, il convient de fixer la composition du Comité. Puisque la réflexion éthique s’enrichit de la diversité des expertises et des points de vue, il convient que le Comité d’Éthique réunisse des personnes aux compétences complémentaires et aux intérêts distincts. De manière classique, le Comité se compose avant tout de membres de l’instance dirigeante, d’opérationnels en charge des sujets éthiques discutés auxquels s’ajoutent parfois un ou plusieurs représentants du personnel et des métiers.

A ces expertises internes, il peut être judicieux d’adjoindre des personnes qualifiées extérieures à l’entreprise : philosophe, éthicien, juriste, économiste, sociologue, prospectiviste, ou tout autre spécialiste capable d’éclairer les débats et d’appréhender une part de la complexité des sujets discutés. A cet égard, il est recommandé de faire appel à des spécialistes ayant une connaissance pratique du monde des affaires et de l’activité concernée, afin d’engager un dialogue constructif, à la portée effective. Outre ces personnes ressources, la présence de membres représentants les intérêts de parties prenantes peut également améliorer la compréhension de l’environnement socioéconomique par le Comité. Ainsi il peut être envisagé de faire siéger des représentants des fédérations professionnelles, du secteur financier, de la société civile et des ONG, etc. Si l’intégration de ces derniers est telle qu’elle permet leur pleine expression, le Comité d’Éthique peut alors, notamment dans les plus petites structures, faire également figure de Comité des parties prenantes – leurs missions pouvant se confondre.

Dans ce contexte, de nombreuses entreprises décident même de confier la présidence du Comité d’Éthique à un tiers qualifié, expert extérieur, en charge de la préparation, de l’organisation et de l’animation des séances. Ce choix a l’avantage de placer à la tête du Comité une personne indépendante, à l’écart de la gestion courante, plus à même de créer un cadre d’échange libre, franc et apaisé.

Se réunir, délibérer et rendre public

 

Pour faire vivre le Comité ainsi constitué, il convient de le réunir de manière régulière afin de faire naître chez ses membres une proximité et des interactions suffisantes à l’instauration d’un climat de confiance. A cet égard, il semble raisonnable qu’une réunion de Comité d’Éthique se tienne à échéance régulière – par exemple de manière trimestrielle – pour satisfaire l’objet de sa mission. Outre ces sessions ordinaires, des modalités de saisine souples peuvent donner lieu à des séances extraordinaires. Ainsi il n’est pas rare que le Comité d’Éthique puisse être saisi par les instances dirigeantes (PDG, DG ou COMEX), par le directeur ayant la responsabilité de ces sujets ou par le Comité d’éthique lui-même (auto-saisine).

L’activité du Comité d’Éthique se matérialise quant à elle par la rédaction de compte-rendu de séance mais également, lorsque cela se justifie, par celle d’avis, assortis ou non de recommandations, et adressés aux parties prenantes intéressées.

En outre, certains Comités peuvent être amenés à publier des articles, des livres blancs ou à interagir avec d’autres institutions (pouvoirs politiques, fédérations professionnelles, parties prenantes, etc.). D’autres, enfin, n’hésitent pas à organiser des évènements pour faire connaître et diffuser le fruit de leur réflexion.

Dans tous les cas, une garantie absolue de confidentialité doit être exigée de la part des membres du Comité qui s’engagent à ne pas dévoiler le contenu des débats avant leur éventuelle publication, toujours décidée de manière consensuelle. Si certains sujets interdisent la publication des réflexions, il convient néanmoins de faire en sorte que la majorité des discussions menées dans le cadre du Comité puisse être rendue publique et adressée aux collaborateurs. En effet, la création d’un tel organe s’avère également un bon moyen pour renforcer la diffusion de la culture éthique, et de faire ainsi en sorte que chaque collaborateur se sente dépositaire d’une réflexion qui ne peut être que collective.

[1] Cécile Renouard, philosophe et auteure de nombreux ouvrages sur l’éthique des entreprises, propose dans son ouvrage « Éthique et Entreprise » paru en 2015, cette définition qui s’appuie notamment sur la pensée développée par Paul Ricoeur dans son célèbre ouvrage « Soi-même comme un autre » paru en 1990.

[2] RSE : Responsabilité sociétale des entreprises

[3] Par exemple la loi dite Sapin II, la loi dite Devoir de vigilance ou les lois de transparence extra-financière, pour ne faire mention, de façon très partielle, que de l’environnement juridique français.

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