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La représentation d’intérêts

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Maylis Pedo, Prix 2024 du meilleur mémoire E&C remis par le Cercle, revient dans cet article sur la nécessité d’interroger les cadres réglementaires, français et européen, entourant le lobbying et propose des axes d’amélioration basés sur son observation des pratiques déployées dans le secteur de la santé.

La représentation d’intérêts, ou “lobbying“,  pratique courante et répandue en démocratie, vise à influencer les décisions publiques dans divers secteurs. Nécessaire à l’établissement d’un cadre législatif cohérent et adapté à un État et son économie, cette activité d’influence présente toutefois de multiples risques.

Des risques bien identifiés

L’absence d’encadrement du lobbying peut engendrer des atteintes à la probité telles que la corruption ou les conflits d’intérêts, du fait des relations étroites qu’entretiennent lobbyistes et décideurs publics. Par ailleurs, un manque de supervision laisse le champ libre aux ingérences étrangères, comme l’a mis en évidence le Qatargate[1] qui a frappé l’Union européenne (UE) en décembre 2022. En outre, ces hypothèses susceptibles de constituer des pratiques illégales ou contraires à l’éthique, affectent profondément la confiance des citoyens dans la démocratie.

Bien que cette activité soit réglementée au niveau national et européen au travers de systèmes de transparence des relations entre lobbyistes et décideurs publics, des questions persistent quant à l’efficacité de ces règles en vigueur. Le Qatargate a mis en évidence des failles majeures du système de transparence européen, en mettant à jour un réseau d’influence étrangère via la corruption de fonctionnaires et anciens eurodéputés, dans le but de faire adopter des mesures en faveur du Qatar, dans lequel d’autres Etats seraient aussi impliqués.

Comment un tel scénario a-t-il pu se produire, à un niveau de fonction aussi élevé au sein des institutions européennes ? Existe-t-il des règles relatives à l’encadrement du lobbying au sein de l’Union européenne et en France ? Quelles en sont les limites et comment y faire face ?

Le lobbying est une pratique à la fois nécessaire et inévitable au sein d’une démocratie. Côté pile, elle permet aux acteurs économiques d’évoluer dans un cadre réglementaire propice au développement de leurs activités. Côté face, elle peut mener à des pratiques illégales ou contraires à l’éthique. Une frontière ténue sépare les deux. Comment s’assurer que la pratique du lobbying ne tombe pas dans le risque de conflits d’intérêts entre représentants d’intérêts et décideurs publics, ou de corruption, via des cadeaux, invitations ou autres avantages indus ?

Des cadres réglementaires fragiles

Pour s’assurer que la pratique du lobbying reste saine, il est fondamental de fixer un cadre de transparence clair et efficace. L’État français l’a compris, et avec la loi Sapin II, s’est armé d’un système permettant de superviser les relations entre lobbyistes et décideurs publics. L’Union européenne a elle aussi saisi l’ampleur des enjeux des activités d’influence. Trois de ses institutions – le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Union européenne. – se sont alliées par un accord interinstitutionnel afin d’élaborer un système de transparence européen.

Ces deux systèmes sont fondés sur une même logique, celle des obligations déclaratives. Tout lobbyiste exerçant son influence auprès de décideurs publics français ou européens est tenu de divulguer ses activités de représentation d’intérêts, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en France, et auprès du registre numérique supervisé par le Secrétariat au sein de l’UE.

Pourtant, si ces systèmes de transparence ont le mérite d’exister et rendent compte d’une prise de conscience des enjeux liés au lobbying pour nos démocraties, ils présentent de nombreuses failles, fragilisant la garantie d’un lobbying transparent et éthique.

Par exemple, l’absence d’obligation d’inscription sur le registre au niveau de l’Union européenne constitue une faiblesse majeure du système de transparence européen, les lobbyistes pouvant ainsi échapper aux obligations déclaratives. A ce jour, seuls les lobbyistes souhaitant obtenir un badge d’accès aux institutions européennes sont tenus de s’inscrire obligatoirement au registre. De facto, un pan important des activités d’influence au sein de l’UE sont donc hors surveillance du Secrétariat qui supervise le registre européen. Cette entité est par ailleurs en manque de ressources humaines et financières pour faire face à la tâche fondamentale et colossale de contrôle du lobbying dans l’UE.

En France, si la HATVP semble plus solide que le Secrétariat européen, de multiples limites restent à déplorer. Les critères justifiant la soumission d’un lobbyiste aux obligations déclaratives s’évèrent simples à contourner. Ainsi, un représentant d’intérêts doit déclarer ses activités dès lors qu’il comptabilise plus de 10 entrées en contact avec un décideur public, uniquement s’il en a été à l’initiative. Cette disposition exclut donc du système de transparence toutes les hypothèses dans lesquelles un représentant d’intérêts rencontre des décideurs publics sur invitation de ces derniers, ou bien lors d’évènements dont il n’est pas l’organisateur. En outre, il n’existe pas de déclaration consolidée : il est donc tout à fait envisageable de “morceler” ses activités d’influence afin de rester en deçà du seuil fixé, notamment dans un groupe de sociétés par exemple, et rester ainsi  hors scope de l’obligation déclarative.

Quels axes d’amélioration ?

Ces limites affectent profondément l’efficacité du contrôle des relations entre les représentants d’intérêts et les décideurs publics. Pourtant, il existe de nombreuses solutions intéressantes à envisager pour pallier les faiblesses mentionnées : rendre obligatoire et systématique l’inscription au registre de l’UE pour tout lobbyiste participant à des activités d’influence auprès de décideurs européens, imposer des déclarations consolidées pour les groupes de sociétés, supprimer le critère de l’initiative de l’entrée en contact par le lobbyiste, instaurer au niveau de l’UE une autorité indépendante dotée de moyens suffisants pour assurer la supervision des activités de lobbying auprès des institutions européennes.

Par ailleurs, il est intéressant d’analyser ce qui est fait chez nos voisins en la matière. Plusieurs États européens ont mis en place des systèmes de contrôle du lobbying, dont nous pourrions nous inspirer pour consolider nos cadres de transparence. La différence principale réside sur la granularité des données à fournir dans les déclarations des lobbyistes.

En Slovénie, les représentants d’intérêts doivent fournir le montant exact des contrats ou paiements perçus dans le cadre de leurs activités d’influence, alors que le système français n’exige que la publication de fourchettes pour les montants alloués au lobbying. En Lituanie, lobbyistes doivent rendre public le titre de l’acte visé par les activités d’influence, lorsqu’en France il ne faut indiquer que la nature du texte visé. Les représentants d’intérêts inscrits au registre lituanien doivent aussi fournir l’identité du décideur public visé par l’action de lobbying, ce qui n’est pas exigé au niveau français ou européen.

L’Irlande impose la publication de la date de rencontre entre le lobbyiste et le décideur public influencé, ainsi que l’identité de tout représentant d’intérêts qui aurait précédemment embrassé une carrière dans la fonction publique.

Au regard de ces pratiques mieux disantes, il est possible de s’interroger : les systèmes français et européen encadrant les relations entre lobbyistes et décideurs publics n’auraient-ils de transparent que le nom ? Pour œuvrer pour un lobbying “transparent, équilibré et éthique[2]” comme l’y invite, Patrick Lefas, président de Transparency Internaional, il apparaît nécessaire et urgent de repenser les cadres réglementaires actuels français et européen relatifs à la représentation d’intérêts.

[1] Scandale de corruption de fonctionnaires européens par (entre-autres) le Qatar, rendu public en décembre 2022.

[2] P. LEFAS, président de Transparency international France – Dossier spécial lobbying “Aidez-nous à convaincre nos dirigeants de rendre le lobbying transparent, équilibré et éthique”.

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