Crédit photo : Unsplash

Cet article est extrait du Cahier des tendances 2022. Analyse et synthèse de l’actualité 2022 par les professionnels de l’E&C, le cahier des tendances en propose certaines clefs de compréhension et éclaire, par le prisme de la réflexion éthique, les trajectoires économiques qui s’ouvrent, leurs conditions et leur limites.

 

L’année 2022 a été marquée par la parution des deux derniers volets du 6ème rapport du GIEC (le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Tandis que le second volet, qualifié « d’atlas de la souffrance humaine » par le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres, portait sur les impacts du changement climatique sur les sociétés humaines et les écosystèmes ainsi que les pistes d’adaptation, le troisième présentait lui des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et limiter le changement climatique. Si le GIEC n’emploie pas le terme de sobriété et lui préfère le triptyque « éviter – changer – améliorer » la logique sous-jacente semble identique : elle consiste à réduire les émissions de GES « en évitant totalement d’utiliser un service qui produit des émissions ». Un levier qui pourrait permettre de réduire jusqu’à 70% des dites émissions.

S’appuyant sur ce constat, 84 dirigeants d’entreprises ont invité, dans une tribune du Journal du Dimanche publiée le 2 juillet 2022, à « accepter de parfois faire moins, pour toujours faire mieux », rappelant par ailleurs le dépassement actuel de certaines « limites planétaires ». Le concept, proposé en 2009 par le Stockholm Resilience Center dans la revue Nature, postule qu’il existe 10 processus biophysiques – dont par exemple le changement climatique, l’érosion de la biodiversité ou l’acidifications des océans – qui assurent la stabilité du système-Terre. En 2022, selon les mêmes scientifiques, deux nouvelles limites planétaires, la pollution chimique et la disponibilité en eau douce, ont été dépassées, portant le tout à 6 !

Or, 2022 est également la date anniversaire des 50 ans de publication du très célèbre rapport du club de Rome, intitulé « Les limites à la croissance dans un monde fini ». Publié par un groupe de chercheurs du MIT en 1972, le rapport, fondé sur un modèle de dynamique des systèmes, simulé informatiquement, alerte sur la possibilité d’un effondrement sous le double effet de la croissance démographique et de la croissance économique, la seconde provoquant pollution excessive et déplétion des ressources naturelles. Mis à jour en 2004, les tendances semblent suivre, dans l’ensemble, celles décrites dans le rapport de 1972. Pour prévenir l’effondrement, les auteurs s’interrogent sur le rôle de la croissance économique : La croissance de quoi ? Pour qui ? Et à quel prix ?

Face à ce que l’ONU, par la voie de son Secrétaire Général, qualifie « de menace existentielle directe », il semble urgent d’intégrer aux logiques économiques le concept des limites planétaires. Mais cela est-il possible si le paradigme de la croissance économique demeure ? La possibilité d’un découplage entre le PIB et les atteintes à l’environnement semble aujourd’hui si peu crédible que les méta-analyses disponibles sur le sujet[1] insistent toutes sur la nécessité de développer des stratégies axées sur la sobriété.

Dans ce contexte, les entreprises doivent-elles se préparer à une société post-croissance dans laquelle la croissance économique a cessé d’être plus un indicateur clef ?

Certains observateurs en sont convaincus et appellent les entreprises à mettre en place des stratégies de renoncement, à l’instar de certaines entreprises engagées qui refusent ou limitent désormais la vente de certains produits ou services. Depuis 2020, un Master of Science (Msc), proposé par l’école de design Strate et l’ESC Clermont Business School, ambitionne même de former des futurs professionnels experts en fermeture, démantèlement et redirection écologique.

Au-delà des cercles de convaincus, la décision prise par les autorités néerlandaises de réduire de 11% le trafic aérien à l’aéroport de Schipol, troisième aéroport européen, par rapport au niveau prépandémie de 2019, pour participer à a lutte contre le dérèglement climatique ne participe-t-elle de cette démarche ? En France, l’invitation d’Augustin de Romanet, PDG d’ADP, « à être raisonnable dans le voyage aérien » et à « accepter une certaine modération » n’y semble pas diamétralement opposée.

[1] Notamment les études « Is green growth possible? » dans la revue « New Political Economy », « Decoupling for ecological sustainability: a categorization and review of research literature », dans la revue « Environmental Science & Policy », et « A systematic review of the evidence pf decoupling of GDP, resource use and GHG emissions” publiée dans “Environmental Research Letters”.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !