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Cet article est extrait du Cahier des tendances 2022. Analyse et synthèse de l’actualité 2022 par les professionnels de l’E&C, le cahier des tendances en propose certaines clefs de compréhension et éclaire, par le prisme de la réflexion éthique, les trajectoires économiques qui s’ouvrent, leurs conditions et leur limites.

 

Partage de la valeur et lutte contre les inégalités économiques

« Les inégalités économiques contemporaines sont proches de leur niveau du début du 20ème siècle, à l’apogée de l’impérialisme occidental », « la part des revenus captée par la moitié la plus pauvre de la population mondiale étant environ deux fois plus faible aujourd’hui qu’en 1820, avant la grande divergence entre les pays occidentaux et leurs colonies ». La conclusion, tirée du rapport sur les inégalités mondiales de 2022 publié par le World Inequality Lab, interroge à l’heure où le 10ème Objectif du Développement Durable porte justement comme ambition la réduction des inégalités.

Si les inégalités entre pays diminuent, celles au sein même des pays connaissent le chemin inverse, de sorte que les « inégalités intérieures pèsent aujourd’hui davantage que les inégalités entre pays ». Alors qu’en 1820, les revenus moyens des 10% les plus aisés étaient 18 fois plus élevés que ceux des 50% les plus modestes, ce ratio est aujourd’hui de 38, après un record de 53 atteint en 1980. Les inégalités de patrimoine étant fonction des inégalités de revenu, les premières atteignent des sommets : en 2021, les 10% des individus les aisés détiennent, à l’échelle globale, 76% du patrimoine personnel total tandis que les 50% les plus modestes n’en détiennent que 2% !

Si l’Europe fait pour l’instant figure de relative bonne élève, l’année 2022 a ravivé certaines inquiétudes en France et dans le monde. En cause : l’augmentation des rémunérations des dirigeants et la distribution de dividendes en période de forte inflation et d’érosion des salaires. A tel point que le Président français, Emmanuel Macron, est sorti de sa réserve pour déclarer qu’il jugeait « choquant et excessif » la rémunération envisagée par le directeur général du constructeur automobile Stellantis, portée à 19 millions pour l’année 2021. Depuis 2019 et la période pré-covid, les rémunérations des dirigeants du CAC 40 ont augmenté d’environ 60%, le SMIC ayant quant à lui augmenté d’environ 10% depuis cette date. Parallèlement, les dividendes versés aux actionnaires ont atteint des records historiques en France et dans le monde, en augmentation de 33% sur un an, faisant craindre un renforcement supplémentaire des inégalités économiques.

Pourtant, comme tendent à le démontrer chercheurs et institutions, au premier rang desquels le FMI ou l’OCDE, leur accroissement entraînent des effets négatifs sur le développement économique global et sur la croissance en particulier. Par ailleurs, les niveaux de rémunération des dirigeants ne sont pas des indicateurs pertinents de mesure de la performance des entreprises elles-mêmes.

Non optimales économiquement, les inégalités économiques et de revenus font en outre courir le risque de saper gravement la cohésion et le pacte social. Plus encore, des études scientifiques révèlent des corrélations positives entre les niveaux d’inégalité économique et la prévalence d’un certain nombre de psychopathologies, suggérant qu’à l’instar d’autres animaux sociaux, les êtres humains réprouvent et souffrent physiquement et psychiquement de l’existence d’inégalités trop fortes.

Aucune théorie éthique ne semble non plus en mesure de les justifier. Pas plus l’utilitarisme anglo-saxon qui vise à maximiser le bien-être collectif, que la vertu aristotélicienne qui impose une justice distributive ou que les conceptions kantiennes qui appellent l’exigence de justice sociale.

Dans ce contexte, la question du partage de la valeur au sein des entreprises ressurgit et interroge tant les modalités de distribution des dividendes que l’encadrement des hautes rémunérations. L’évolution des règles associé à la gouvernance d’entreprise pourrait apporter des réponses à la première problématique (voir sur ce point l’encadré Les nouvelles formes de gouvernance). Quant aux politiques de rémunérations, le renforcement du principe du « Say on Pay » à la suite de l’application de la loi Sapin II en 2017 semble impuissant à faire évoluer les comportements pour le moment. La question demeure donc : faut-il plus fermement encadrer la rémunération des grands dirigeants ?

Outre leur strict plafonnement, l’une des modalités pourrait être la fixation d’un facteur maximum entre le plus haut salaire de l’entreprise et le salaire médian ou le plus bas salaire de l’entreprise. Portée désormais par plusieurs personnalités politiques, l’idée n’est pourtant pas nouvelle. A la fin du XIXème siècle, le banquier John Pierpont Morgan, fondateur de la banque éponyme, proposait par exemple de limiter l’écart entre plus bas salaire et plus haut salaire par un facteur de 1 pour 20. Henry Ford défendait quant à lui un rapport de 1 pour 40. En 2021, il était en moyenne de 1 pour 410 concernant les entreprises du CAC40.

Le principe est pourtant moins original qu’il n’y parait. Ainsi, les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques françaises sont soumises depuis 2012 à un plafonnement. Côté secteur privé, le Mouvement Impact France, l’alter ego du MEDEF pour les entreprises à impact social et écologique, propose de limiter les écarts de 1 à 20 SMIC pour les PME, de 1 à 50 SMIC pour les ETI et de 1 à 100 SMIC pour les grandes entreprises. Par ailleurs, l’information est déjà exigée dans le questionnaire pour l’obtention du très exigeant label B Corp, sans qu’il n’y ait de réponse a priori discriminante.

Si la juste hauteur de ce ratio reste donc encore sujette à débat, cet indicateur semble néanmoins mériter toute l’attention des professionnels soucieux d’appliquer l’éthique aux affaires et l’émergence d’une société inclusive.

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