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Cet article est extrait du Cahier des tendances 2022. Analyse et synthèse de l’actualité 2022 par les professionnels de l’E&C, le cahier des tendances en propose certaines clefs de compréhension et éclaire, par le prisme de la réflexion éthique, les trajectoires économiques qui s’ouvrent, leurs conditions et leur limites.

 

Quelle gouvernance pour les entreprises de demain?

Alors que l’actualité conduit à interroger le partage de valeur en entreprise (voir article ci-dessus), la décision, annoncée le 14 septembre 2022, par Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, de céder l’entièreté de ses parts à un trust et une association écologique détonne. Valorisée à 3 milliards de dollars, l’entreprise spécialisée dans les vêtements de plein air sera désormais détenue à 100% par des organisations ayant pour objet la lutte contre le dérèglement climatique et la protection des écosystèmes.

Le chef d’entreprise espère que « cela contribuera à l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme qui ne se solde pas par l’existence de quelques riches et d’un grand nombre de pauvres ». L’hégémonie des actionnaires sur les décisions et la stratégie d’entreprise et l’exigence de rentabilité à très court-terme qui peut en découler ne semblent pas en effet être des fatalités. Si ce paradigme caractérise le capitalisme à « l’anglo-saxonne », aujourd’hui adopté en France, d’autres modèles existent.

Ainsi le capitalisme dit « rhénan » privilégie la codétermination, c’est-à-dire la participation au sein des conseils d’administration et de surveillance de représentants de salariés. Répandu dans les pays nordiques, le modèle trouve une de ses applications les plus abouties en Allemagne, pays où les conseils de surveillance des entreprises de plus de 2 000 salariés doivent impérativement offrir la moitié des sièges à des représentants de salariés.

Outre le fait de favoriser une meilleure démocratie d’entreprise, le Mitbestimmung allemand semble produire des effets positifs sur le climat et les relations sociales comme sur la performance, la productivité et l’innovation. Les représentants des salariés apparaissent généralement plus soucieux des intérêts à long-terme de l’entreprise ce qui peut prémunir contre certains risques.

Fort de ces observations, le rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » rendu en 2018 par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard au gouvernement français préconisait une augmentation de la proportion d’administrateurs salariés. La loi PACTE, reprenant timidement l’idée, est néanmoins restée en deçà des préconisations du rapport. De la même manière, les initiatives en faveur de l’actionnariat salarié restent encore très modestes, bien qu’elles semblent, elles aussi, susceptibles d’apporter des réponses très concrètes en la matière.

En revanche, la loi PACTE a offert la possibilité aux entreprises de se doter d’une raison d’être voire d’obtenir la qualité d’entreprise à mission en se fixant un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux qu’elle se donne pour mission de poursuivre. Outre l’amélioration de l’image de marque, la formalisation d’une ambition commune, ce statut doit également permettre aux entreprises de « se protéger contre les rachats hostiles » selon le site du Ministère de l’Économie. « L’affaire Danone » et l’éviction, en 2021, de son ex-PDG, ont démontré s’il le fallait la faiblesse de cet argument.

Le 24 octobre 2022, 756 entreprises françaises étaient référencées en tant que sociétés à mission, 90% des entreprises recensées étant des PME et des microentreprises. Un succès en demi-teinte donc, bien que certains grands groupes comme la Banque Postale, KPMG ou Sagemcom aient franchi le cap. Le dispositif semble toutefois trop inabouti pour convaincre. D’une part, les avantages du statut d’entreprise à mission apparaissent limités au regard de l’investissement que cette décision entraîne. De l’autre, aucune disposition légale sérieuse ne sanctionne le manque de sincérité ou de fiabilité des entreprises dans la poursuite de leur mission.

Pour favoriser l’apparition de sociétés à missions aux objectifs sociaux ou environnementaux véritables, il semble donc nécessaire de renforcer la transparence et les contrôles quant à la poursuite réelle de la mission définie, tout en favorisant les plus vertueuses via la commande publique, les politiques de subvention et la fiscalité. Des incitations économiques qui pourraient convaincre les actionnaires.

Enfin, une autre modalité de gouvernance existe, comme le suggère le cas de Patagonia, celle des fondations actionnaires. Détentrices ou tout ou partie du capital des entreprises, les fondations actionnaires poursuivent des objectifs philanthropiques tout en assurant la protection du capital de l’entreprise détenue. Loin d’être anecdotique, le statut est très répandu dans les pays nordiques. En 2018, le Danemark comptait par exemple 1 360 fondations actionnaires soit 54% de la capitalisation boursière du pays ! De nombreuses entreprises allemandes, suédoises ou suisses – dont certaines multinationales tels que Bosch, Electrolux ou Rolex – ont adopté ce statut.

Face à l’urgence écologique, à l’impératif partage de la valeur et au désengagement des salariés, les questions relatives à la gouvernance d’entreprise ne peuvent plus être éludées. La nécessité d’aligner l’intérêt général et l’intérêt privé des entreprises et de permettre que les seconds ne soient pas contraires au premier exigent de nouvelles formes de gouvernance, capables de faire émerger de nouveaux modèles d’affaires.

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