Chaque année depuis 2016, le Cercle d’Ethique des Affaires (CEA), remet à un étudiant du Master 2 de Droit et Ethique des Affaires de l’Université de Cergy-Pontoise un prix qui vient récompenser la qualité et le caractère opérationnel de son travail de recherche. Cette année, après avoir auditionné dix candidats, le jury a décidé de décerner ce prix à Marine Richert pour sa remarquable étude des enjeux d’éthique et de conformité propres au secteur minier en Afrique. Son mémoire, intitulé « Ethical Risks Facing Mining Companies on the African Continent », identifie de manière précise et convaincante les risques propres aux activités minières en Afrique, ainsi que les actions et les procédures à mettre en place pour les prévenir. Quelques semaines après la cérémonie de remise de prix, nous avons rencontré Marine Richert pour échanger plus longuement sur son travail de recherche et les enseignements qu’elle a pu en tirer.

LE CERCLE D’ETHIQUE DES AFFAIRES : Pourquoi avoir décidé de traiter le sujet des enjeux éthiques de l’industrie minière en Afrique ?

MARINE RICHERT : Dans le cadre de mon Master 2 en Droit et Ethique des affaires, j’ai réalisé mon alternance au sein de la Direction Ethique & Compliance d’une entreprise de l’industrie minière et métallurgique, ERAMET. Il me semblait donc pertinent de traiter des enjeux éthiques quotidiens de cette industrie. Mon choix de me concentrer sur le continent africain s’explique d’une part par l’importance du continent tant en termes de richesse que de diversité de ses ressources minérales, et d’autre part par les nombreux clichés attachés à celui-ci.

« L’industrie minière fait face à un risque de corruption accru notamment sur le premier maillon de la chaîne de valeur extractive : l’octroi des titres miniers. »

Le risque de corruption et le risque d’atteinte aux droits humains sont deux enjeux éthiques majeurs pour cette industrie qui revêt des risques spécifiques en la matière. L’industrie minière fait face à un risque de corruption accru notamment sur le premier maillon de la chaîne de valeur extractive : l’octroi des titres miniers. Cette étape, qui nécessite un contact constant avec des agents publics, est cruciale dans la conduite éthique d’un projet minier et dans les relations avec les communautés locales.

LE CEA : Pourriez-vous expliciter certains des enjeux d’éthique et de conformité spécifiques à l’industrie minière en Afrique ?

MR : De nombreux pays africains ne disposent pas de règles d’attribution suffisamment contraignantes et/ou transparentes, augmentant ainsi le risque de corruption d’agents publics. Une entreprise minière pourrait ainsi être tentée de corrompre un agent public afin d’obtenir un traitement favorable, des informations confidentielles ou encore pour éviter une procédure d’appel d’offres. Ainsi certaines sociétés ont pu avoir recours à des pots-de-vin pour modifier les dispositions législatives et ainsi éviter une procédure d’appel d’offres qui ne leur aurait pas été favorable. De la même manière, une entreprise qui souhaiterait racheter des titres miniers à une autre société les ayant obtenus grâce à des actes de corruption risquerait de ne pas être en mesure de les exploiter par la suite, dans la mesure où ces droits miniers doivent être transférés par le gouvernement local. Face à ces risques, certains pays africains réagissent par exemple en révisant leurs codes miniers ou encore en adoptant des lois anticorruption à l’instar du Kenyan Bribery Act adopté en 2016.

L’une des spécificités du continent est également la présence d’institutions traditionnelles. Le chef de village continue de garder une place importante dans la société africaine où il est parfois considéré quasiment comme une « extension » du gouvernement local. Tout projet minier nécessitant au minimum son acceptation par la communauté locale, le chef de village peut également être la cible de corruption. Ainsi, la corruption sur le continent africain est également source d’impacts négatifs sur les communautés locales, dans la mesure où elle peut priver nombre de ces individus des avantages liés à de tels projets (éducation, emploi, logement…).

« Un projet minier est souvent à l’origine de déplacements involontaires de communautés locales bouleversant ainsi la dynamique économique et culturelle de ces groupes. »

L’industrie minière est une activité complexe qui nécessite de prendre en considération l’impact sur les communautés locales. En effet, un projet minier est souvent à l’origine de déplacements involontaires de communautés locales bouleversant ainsi la dynamique économique et culturelle de ces groupes. C’est notamment pour cette raison qu’il est crucial pour les sociétés minières d’intégrer les communautés locales dans leur projet, d’instaurer un dialogue durable et d’obtenir la « social licence to operate ». Sans le consentement des populations locales, le projet minier pourrait être arrêté et ainsi engendrer un coût important pour l’entreprise.

Les sociétés minières font cependant face à des menaces parfois difficilement évitables sur le continent africain. A titre d’exemple, récemment, une mine s’est écroulée en République Démocratique du Congo causant la mort de 41 mineurs. La prévention de ce type d’accident, dont l’origine est liée à des creuseurs illégaux, reste pratiquement impossible.

CEA : Selon vous, comment les entreprises concernées peuvent-elles mieux maitriser les risques auxquels elles sont exposées ?

MR : Il est tout d’abord primordial que les entreprises minières prennent conscience des risques liés à leur activité. Une fois cette prise de conscience opérée, il leur faudra identifier ces risques précisément, notamment par le biais d’une cartographie des risques prenant en considération le contexte socio-politique de chaque pays où la société opère. Ainsi, des programmes de compliance anticorruption et de respect des droits humains devront être développés et déployés conformément aux meilleurs standards internationaux en la matière. La compliance doit être perçue comme un business partner, levier de performance de l’entreprise, et non comme une contrainte qui ne ferait que ralentir les process internes.

Les spécificités du continent doivent également être prises en considération dans le développement de ces programmes de compliance. A titre d’exemple, les sociétés minières devraient adopter une définition extensive des Personnes Politiquement Exposées (PPE) ou lui préférer le terme de « Promiment Influential Persons » (PIP), permettant d’inclure notamment les chefs religieux et traditionnels, qui exercent une influence certaine dans l’octroi des titres miniers. Un dialogue durable doit également être établi avec l’ensemble des membres des communautés locales afin de prendre en compte de tous (y compris les plus fragiles et démunis). Dans cette optique, des mécanismes doivent être développés et les actions prises en conséquence.

Au-delà de ces initiatives individuelles conduites en interne, des initiatives collectives doivent également être menées. Il est essentiel que les sociétés minières partagent leur expérience du continent mais également contribuent collectivement à faire avancer la lutte contre la corruption et le respect des droits humains en Afrique. L’effort doit être collectif pour espérer un changement sur le continent, d’autant que de nouveaux acteurs (comme les sociétés chinoises par exemple) font leur apparition sur la scène africaine. Les sociétés minières doivent être proactives en la matière, s’interroger sur leur rôle au sein du continent et s’efforcer de répondre aux attentes de leurs parties prenantes.

CEA : Votre mémoire a reçu le prix du CEA 2019, envisagez-vous maintenant de vous spécialiser sur les enjeux éthiques en Afrique ? Sur ceux relatifs à l’industrie minière ? 

MR : Le continent africain pourrait devenir « l’usine du monde à l’horizon 2050 [1]». Le continent reste un espace économique important à ne surtout pas négliger, peu importe l’industrie, qui comporte de nombreuses spécificités et est sujet à de nombreux clichés. Il est donc important de connaître le contexte socio-politique du continent et les risques éthiques associés. Par conséquent, bien que je ne souhaite pas me spécialiser uniquement sur les enjeux éthiques en Afrique, il me semble opportun de continuer à suivre l’évolution de la compliance sur le continent.

Le secteur minier et ses enjeux éthiques ont été une véritable découverte. Il s’agit d’un secteur où le risque de corruption et le risque d’atteinte aux droits humains sont étroitement liés, ce qui contribue à en faire un secteur passionnant. Maintenant diplômée de mon Master 2, j’espère avoir l’opportunité de développer ma carrière professionnelle en lien avec le secteur extractif.

[1] Mihoub Mezouaghi, « L’Afrique peut devenir l’usine du monde à l’horizon 2050 » (Le Monde Afrique, 4 octobre 2017), disponible en cliquant sur ce lien

Crédit photo : Le Cercle d’Éthique des Affaires

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