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Alors que l’Autorité de la Concurrence a publié le 11 octobre 2021 un nouveau document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de la concurrence, le Cercle d’Éthique des Affaires a souhaité interroger des experts de la discipline pour en savoir plus sur les fondamentaux de la conformité anti-trust, ses bonnes pratiques, ses similitudes avec les autres disciplines de l’éthique appliquée aux entreprises et finalement son avenir. Retour sur les divers enseignements de la dernière conférence prospective du CEA.

 

 

 

La conformité anti-trust : contexte

Véritablement instaurés en France par une ordonnance du 1er décembre 1986, le droit de la concurrence et l’autorité administrative en charge de son respect – d’abord Conseil de la Concurrence puis Autorité de la concurrence – bénéficient d’une histoire et d’une expérience longues. Imposé aux entreprises, le droit de la concurrence vise à prévenir sous peine de sanction, les diverses pratiques anti-concurrentielles – ententes, abus de position économique dominante, concentration, voire aide d’états – qu’un marché pourrait avoir à subir.

Dans un contexte où les sanctions administratives peuvent être élevées – jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise ou de l’ensemble des membres d’une entente – les entreprises sont très fortement incitées à mettre en place des dispositifs leur permettant d’empêcher de façon ex ante la réalisation d’actes contraires à la loi.

Lorsqu’une entreprise a recours à un système de management et à des procédures pour assurer et être capable de démontrer son respect des réglementations, elle met en place ce qu’il est désormais courant de nommer une politique de conformité. Ce constat a mené l’Autorité de la Concurrence française à publier dès 2012 un document-cadre à destination du secteur privé sur les programmes de conformité aux règles de la concurrence. Une façon de conseiller les entreprises sur les bonnes pratiques identifiées par l’Autorité en la matière et surtout de les inciter économiquement à définir une telle politique en promettant à celles qui s’en doteraient une réduction de la sanction encourue jusqu’à 10% du montant de l’amende en cas de faits avérés.

Pourquoi une conformité anti-trust ?

 

Alors qu’en 2012, les entreprises étaient jugées « en phase d’appropriation » des bonnes pratiques du droit de la concurrence, l’Autorité de la Concurrence considère, depuis octobre 2017, que le temps de la maturité est venu. Par conséquent, la mise en place d’un programme de conformité anti-trust n’ouvre plus aujourd’hui à une potentielle réduction de peine. Pourquoi en effet rémunérer des outils qui sont, dans la pratique, devenus des « choses communes » ? Plus encore, pour les représentants de l’Autorité de la Concurrence, la baisse de probabilité de comportements illicites ou la capacité de l’entreprise à les identifier plus rapidement représentent des plus-values suffisantes à la mise en place de ces programmes.

La nouveau document-cadre du 11 octobre 2021 sur les programmes de conformité ne revient pas sur ce principe. Fruit d’une réflexion menée par l’ADLC avec l’aide d’un groupe de 11 experts du secteur privé, le document est scindé en trois parties : la première sur les bénéfices attendus d’un programme de conformité, la seconde sur les conditions de succès d’un tel programme et la dernière sur les acteurs clefs de la démarche.

Entérinant sa position de 2017, l’ADLC réaffirme dans la première partie de ce document l’intérêt pour les entreprises de se doter de programme de conformité anti-trust par la capacité de ces dernières à détecter de façon précoce les potentielles pratiques anticoncurrentielles… de façon à pouvoir ainsi bénéficier d’une procédure de clémence ! Cette pratique permet en effet aux entreprises de révéler une entente à laquelle elle aurait participé en contrepartie d’une exonération totale (pour la première entreprise décidant de sortir du cartel) ou partielle (de 50 à 25% d’exonération en fonction du rang de dénonciation). Une incitation suffisante pour l’ADLC à mettre en place un programme de conformité.

Les bonnes pratiques de la conformité anti-trust 

 

Comment faire dès lors ? Contrairement à la réglementation en matière de lutte contre la corruption, la loi française ne définit pas les piliers nécessaires à un programme de conformité anti-trust. Si l’ADLC souhaite que chaque acteur privé puisse organiser son programme de conformité de la manière la plus efficiente en fonction de sa taille, sa culture ou son secteur d’activité, elle a néanmoins identifié cinq fondamentaux à tout programme de conformité anti-trust : un engagement clair de l’entreprise et des instances dirigeantes, des moyens humains suffisants ayant accès aux organes de direction de l’entreprise, la mise en place de mesures d’information et de sensibilisation sur ces enjeux, la création de mécanismes de contrôle et d’alerte interne et enfin l’existence d’un dispositif de suivi prévoyant notamment des procédures de sanctions.

Au-delà de ces cinq items, la question de la pertinence de l’élaboration d’une cartographie des risques anti-trust sur le modèle de celles utilisées en matière de lutte contre la corruption se pose. Proposée par le groupe d’experts, c’est une piste étudiée par l’ADLC qui attend les remontées de la consultation publique lancée sur le document-cadre pour trancher.

Du côté des professionnels, on insiste sur l’importance que ces programmes soient « adaptés, réévalués, adoptés et mesurés ». Adaptés car il ne saurait y avoir de programme « one size fits all » et qu’il convient de réfléchir son programme en fonction de son organisation. Réévalués, car les programmes doivent être adaptés à la culture de l’entreprise et aux modes de communication : la création d’une mini-série vidéo sur le sujet des pratiques anticoncurrentielles par un grand acteur du secteur bancaire en est ainsi une illustration convaincante. Les programmes doivent en outre être « adoptés » dans la mesure où il ne peut être question de créer des programmes « faits en chambre » sans consultation et co-construction avec les opérationnels. Enfin, il convient de mesurer l’activité de la direction en charge de ce sujet et la réalisation de ses objectifs. Une démarche finalement très compliance

Un sujet d’éthique ?

 

Si la lutte conte les pratiques anticoncurrentielles en entreprise appartient bien au champ de l’éthique des affaires entendue au sens large et qu’en pratique elle s’appuie sur des mécanismes de conformité, force est de constater néanmoins la propension des entreprises à la rattacher la direction concurrence plus souvent aux directions juridiques que compliance.

Peut-être car il n’existe pas d’obligations légales à instituer un programme de conformité anti-trust ?  Peut-être également car le champ matériel de la conformité ne cesse de s’étendre – de la lutte contre la corruption à la protection des données personnelles en passant par la RSE – et qu’il devient de plus en plus difficile de rattacher tous ces sujets à une direction unique ?

Pourtant, selon l’avis de tous les experts présents à cet évènement, les entreprises gagneraient à harmoniser ces disciplines qui se concurrencent bien souvent dans la pratique. D’abord car « tous ces sujets sont placés sous l’égide des valeurs voire maintenant de la raison d’être » et qu’ils procèdent donc d’une même logique d’intégrité et d’éthique.

Ensuite car le processus d’appréhension des différents risques est assez similaire et repose toujours sur une connaissance fine des processus métiers et une bonne communication avec les opérationnels. Ainsi, il n’est pas impossible pour un responsable éthique ou conformité d’organiser des ateliers de discussion relatifs à la lutte contre la corruption et de finir par collecter des informations précieuses sur des éléments propres à la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles… Une situation remontée par un des intervenants de cette matinée qui démontre bien l’intérêt de croiser les sujets relatifs à la probité et à l’intégrité en entreprise, sous peine de parfois perdre « la vue d’ensemble » nécessaire à ces problématiques !

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