Pour la plupart bien établis dans leur fonction et leur mission, les E&C officers sont de plus appelés à rendre compte de leur action, que ce soit en interne vis-à-vis de leur hiérarchie, des instances représentatives du personnel ou de l’ensemble des collaborateurs ou en externe vis-à-vis des partenaires commerciaux, des agences de notation extra-financière ou plus largement du secteur financier. Cette demande, couplée à la nécessité de piloter son action dans le temps, a mené au développement et à l’instauration d’indicateurs de performance éthique – KPI propres au domaine de l’éthique des affaires, de la compliance ou de la RSE. Précieux, ces indicateurs se doivent néanmoins d’être définis et utilisés avec soin pour véritablement enrichir la pratique.

 

 

 

 

 

Une institutionnalisation par le chiffre

Confrontée à la pression de la société civile et à l’urgence de la transition environnementale, les sociétés industrielles, commerciales et financières se doivent désormais de rendre de plus en plus précisément compte de leur engagement en matière d’éthique et de responsabilité sociétale. Aussi, pour flécher l’investissement – comme la consommation – vers des entreprises éthiques, durables et responsables, pouvoirs publics et institutions financières s’astreignent – dans un mouvement pressé – à définir des règles harmonisées de notation extra-financière.

Ainsi, alors qu’à l’occasion de la COP26, l’IFRS[1] annonçait la création d’un organe chargé de proposer de nouvelles normes de reporting de la durabilité des entreprises[2], le 21 avril 2021 déjà, la Commission Européenne adoptait une nouvelle directive sur les rapports de durabilité des entreprises.

En attendant le résultat des travaux de l’IFRS, la directive européenne dite CSRD[3] prévoit de rendre obligatoire l’établissement d’un rapport extra-financier pour toutes les entreprises de l’UE de plus de 250 salariés, soit près de 50 000 sociétés. Si le contenu et les indicateurs à mesurer restent à préciser – c’est l’objet des travaux actuels de l’EFRAG[4] – il est certain que ceux-ci s’intègreront dans une nomenclature de type ESG[5].

Dans ce contexte, les fonctions éthique et compliance, déjà habituées à reporter en interne et en externe notamment auprès des agences de notation financière, n’auront d’autres choix que de développer et de monitorer leur action grâce à des indicateurs chiffrés. Rien de vraiment nouveau puisque certains articles de loi comme l’article 17.II.8° de la loi Sapin II l’imposent déjà de manière implicite en exigeant la mise en place « d’un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures [de compliance] mises en œuvre »…

Pourquoi et comment mesurer ?

Le fulgurant développement de la notation ESG semble, à lui seul, justifier de la pertinence du déploiement d’indicateurs chiffrés en matière d’éthique et de conformité. Pourtant, à bien y réfléchir, d’autres objectifs peuvent également être poursuivis, modifiant d’autant les modalités de la mesure.

Outre les agences de notation extra-financière et les partenaires financiers, d’autres acteurs peuvent trouver un intérêt à être renseignés sur l’activité des fonctions E&C. C’est notamment le cas en interne de la hiérarchie, au premier rang desquels le COMEX et le Conseil d’Administration, mais également de l’ensemble des collaborateurs, des instances de représentation du personnel voire des syndicats. Enfin, la mesure de l’action et des résultats des fonctions E&C peut être utiles… aux fonctions E&C elles-mêmes et à leur réseau d’ambassadeurs ! Pour se figurer des efforts consentis et du chemin parcouru d’abord, mais également pour mettre en lumière un manque de moyens ou de ressources au regard des attentes le cas échéant.

Dans ce contexte, plusieurs indicateurs chiffrés – dont la pertinence varie en fonction de l’objectif poursuivi – peuvent être retenus. Des indicateurs de performance permettront de révéler le niveau d’efficacité d’un processus E&C, des indicateurs de moyens insisteront sur les ressources allouées à la poursuite d’objectifs définis, alors que des indicateurs d’efficience matérialiseront, grâce à des ratios, des évolutions de comportement ou de connaissance dans le temps, comme la notoriété du système d’alerte chez les collaborateurs par exemple.

Outre ces indicateurs traditionnels, certaines mesures peuvent s’avérer des révélateurs indirects de tendance et de véritables « signaux faibles ». L’augmentation du pourcentage d’alertes en lien avec des accusations d’harcèlement dans une certaine entité de l’entreprise peut par exemple traduire une dégradation brutale de l’environnement de travail dans ce lieu. Y-a-t-il eu un changement de stratégie à ce niveau, une restructuration des services, la nomination d’un nouveau responsable ?

Enfin, la confiance dans la politique d’éthique d’une entreprise étant bien souvent le reflet de la confiance placée en les personnes qui la portent, il peut être intéressant d’identifier des indicateurs de leadership traduisant la capacité des équipes E&C à incarner le sujet : nombre de questions posées au directeur de l’éthique, nombre de managers ayant organisé, de façon volontaire, une session dédiée au sujet, etc.

La mesure de l’éthique en pratique

Afin d’organiser et de rationaliser le déploiement d’indicateurs E&C et leur reporting aux différentes parties prenantes intéressées, nombre d’entreprises ont décidé de structurer leurs indicateurs eu égard aux attentes de la réglementation.

Dans le domaine de la lutte contre la corruption, il est ainsi possible de ventiler ses indicateurs en fonction des 8 piliers de la loi Sapin II, en décidant par exemple de définir deux à trois indicateurs par pilier.

Il convient ensuite de définir la fréquence de remontées et d’agrégation de ces mesures, en fonction des ressources et du temps disponible – le reporting étant par nature chronophage – et surtout, eu égard à la pertinence de cet indicateur pour le pilotage à court-terme de l’action des équipes E&C. Bien souvent la plupart des indicateurs sont ainsi monitorés de façon annuelle, parfois trimestrielle et plus exceptionnellement de façon mensuelle, par exemple pour le nombre et la nature des alertes.

Attention cependant à ne pas s’enfermer dans une gouvernance par les chiffres absconse et dénuée de sens. Si les chiffres peuvent éclairer le sens de l’action, ils ne sauraient devenir des fins désirables : le pourcentage de collaborateurs formés au sujet E&C importe moins que le sentiment de confiance de ces derniers vis-à-vis du dispositif d’éthique… Dans ce contexte, il apparait primordial d’enrichir la mesure quantitative par une mesure qualitative de l’action.

Ainsi, plusieurs entreprises, ont mis en place une mesure annuelle du climat éthique, à l’instar du Baromètre proposé par le Cercle d’Éthique des Affaires en partenariat avec le groupe La Poste, afin de rendre compte du degré de confiance, de compréhension et d’engagement des collaborateurs dans la politique éthique de leur groupe. Une manière de s’assurer, au-delà des chiffres, de l’authenticité de la culture éthique dans sa structure !

[1] International Financial Reporting Standards Foundation

[2] Voir par exemple : https://www.rtbf.be/info/dossier/cop26/detail_cop26-de-nouvelles-normes-comptables-pour-empecher-le-greenwashing?id=10872467

[3] Pour Corporate Sustainability Reporting Directive

[4] Voir le rapport intermédiaire de 2021 ici : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/business_economy_euro/banking_and_finance/documents/210308-report-efrag-sustainability-reporting-standard-setting_en.pdf

[5] Pour environnemental, sociétal et de gouvernance

Crédit photo : Unsplash

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