La reconnaissance de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises multinationales – et les enjeux de gouvernance qui y sont liés – s’accroit rapidement. En Europe comme aux États-Unis, la question se pose même de savoir si cette responsabilité devrait, ou non, s’étendre aux fournisseurs et à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Pour s’assurer que leurs collaborateurs prennent au sérieux, respectent voire incarnent la prise en compte de ces nouveaux enjeux, les grandes entreprises tendent, de plus en plus, à intégrer des objectifs ESG et E&C aux rémunérations de leur dirigeants et managers. Est-ce là une pratique souhaitable ? Si oui quels critères retenir ? Tour d’horizon des réflexions au cœur de notre dernier atelier pratique.
L’éthique, un prérequis ?
Rémunérer ses collaborateurs pour « être » éthique ? L’idée en fait bondir certains. Comment justifier le versement d’une prime ou d’un bonus à quelqu’un qui se contente de respecter les valeurs et les règles d’une entreprise qu’il a rejoint librement ?
Comme de nombreux observateurs s’étaient offusqués d’apprendre que la lucrative « prime d’éthique » de certains joueurs du Paris-Saint-Germain, était subordonnée au fait de saluer et de remercier les supporters avant et après chaque match, certains représentants d’entreprise s’interrogent : la prise en compte de la politique éthique et des procédures qui lui sont associées ne fait-elle pas partie des prérequis pour tout salarié rejoignant une entreprise ?
Certes leur répondent les autres, mais alors comment saluer ceux qui prennent de leur temps et de leur énergie pour faire vivre et diffuser la culture éthique au sein de l’entreprise ? Comment récompenser objectivement leur comportement vertueux ?
Aujourd’hui la tendance semble irréversible : une part croissante des grandes entreprises conditionnent désormais une part de la rémunération variable de leurs dirigeants et managers au respect de la politique d’éthique. La question demeure néanmoins de savoir comment évaluer le comportement éthique d’un collaborateur. Les directions E&C doivent à ce titre faire preuve d’ingéniosité pour définir des KPI[1] exploitables.
L’intégration de critères E&C dans la rémunération
L’identification de critères éthiques conditionnant une partie de la rémunération variable est un exercice souvent complexe dans la mesure où l’éthique et les comportements qui lui sont attachés apparaissent comme difficilement quantifiables.
Ainsi les objectifs E&C quantitatifs les plus répandus dans la rémunération des managers – par exemple : % de collaborateurs ayant connaissance du dispositif d’alerte, % de collaborateurs ayant suivi des formations E&C, etc. – apparaissent comme très susceptibles de s’accompagner d’un effet tick the box indésirable, voire contreproductif. Ces indicateurs reflètent mal la réalité de la diffusion d’une culture éthique. En outre, certains managers peuvent être tentés de remplir ces objectifs à la lettre sans en respecter l’esprit.
Pour dépasser cette difficulté, certains indicateurs de nature quantitative mais reposant sur une analyse qualitative peuvent être utilisés. Certaines entreprises ont par exemple mis en place un critère de rémunération variable pour les managers reposant sur un taux de collaborateurs se déclarant en confiance pour reporter des cas contraires à l’éthique sans avoir peur de représailles. De la même manière d’autres sociétés interrogent leurs salariés sur leur capacité ressentie à respecter les procédures E&C (remontées des registres cadeaux et invitations par exemple).
Généralement intégrés à des outils de mesures du climat social (annuel ou plus récurrent), ces métriques peuvent permettre – outre le fait de récompenser les managers des équipes au sein desquelles la culture éthique est la mieux diffusée – de repérer certains signaux faibles ou au contraire certaines bonnes pratiques.
Pour s’assurer de la bonne diffusion de la culture éthique, quoi de mieux que de demander à chaque manager d’animer, lui-même, des sessions de discussion autour de ces enjeux ? En leur fournissant des supports de formation dédiés qu’ils doivent s’approprier pour en parler ensuite avec leurs équipes, certaines sociétés évaluent ainsi, plus finement, l’engagement de leurs managers sur les sujets E&C.
Le bon pourcentage
Une fois les critères arrêtés, la question se pose de savoir combien ceux-ci doivent-ils peser ? Si le respect des procédures éthiques et compliance apparait tout à fait fondamental, force est d’admettre que de nombreuses autres directions possèdent également de bonnes raisons de vouloir imposer leurs propres critères de rémunération variable. C’est de plus en plus le cas notamment de la part des directions RH et RSE.
Dès lors plutôt que d’imaginer un « bonus éthique » indépendant, pourquoi ne pas plutôt réfléchir à une prime ESG globale intégrant tant les objectifs RSE, HSE que RH ? Le respect des procédures de compliance et notamment des normes anti-corruption ne participe-t-il pas directement au pilier G du triptyque ESG ?
Sans présupposer alors d’un pourcentage qui serait le bon, le taux d’intégration des objectifs E&C dans la rémunération variable représentent actuellement jusqu’à 10% du bonus global d’un dirigeant au sein de certaines entreprises. Certains Compliance Officers s’interrogent : demain, ne serait-il pas pertinent d’augmenter ce pourcentage notamment dans les zones les plus à risque ?
Quoiqu’il en soit, il apparait également très important que les indicateurs E&C, pris en compte au moment de la rémunération, soient également considérés lors de la promotion ou du recrutement des managers en interne. Comment justifier en effet qu’il en soit autrement ?
[1] De l’anglais “Key Performance Indicators”
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