Par Rafael V. Sanches
Étudiant dans le Master Droit et Éthique des Affaires (promotion 2021-2021) nominé pour son mémoire “Sustainable Finance & ESG Integration: How EU asset managers can improve non-financial assessments and regulatory compliance through ESG quantification” pour le prix du CEA du meilleur mémoire 2021.

Le besoin de participation VS le besoin de légitimité : un équilibre fragile à préserver

Afin d’optimiser l’apport de la finance durable dans la transition vers une économie durable il faut, naturellement, maximiser le nombre de Sociétés de gestion de portefeuille (SGP) dont les politiques d’investissement prennent en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Toutefois, avec l’accroissement de cette activité, les pouvoirs publics cherchent à encadrer les pratiques d’intégration de critères extra-financiers afin de créer des standards communs à tous. Cela a pour effet secondaire de mettre en place des obligations lourdes et qui restreignent en pratique l’accès à cette activité. On observe dès lors un « paradoxe » : si l’encadrement réglementaire est nécessaire pour le progrès de la finance durable, il peut également empêcher l’adhésion de certains acteurs avec moins de ressources à ce progrès.

La quantification et l’analyse ESG : une solution est-elle déjà disponible ?

Traditionnellement, les enjeux ESG étaient analysés qualitativement : un analyste évaluait la qualité ESG globale d’une société de forme subjective et pas entièrement formalisée. Mais la tendance réglementaire actuelle semblerait maintenant se concentrer sur des exigences de publication de données plus « concrètes » et « transparentes », via notamment des processus de quantification de données extra-financières (i.e. mesurer ou chiffrer des données par des processus préétablis afin d’améliorer leur comparabilité et leur traitement).

La quantification présente de potentiels atouts indispensables pour les structures ayant plus de difficultés à inclure une considération de critères ESG dans leur activité. Le fait d’utiliser les mêmes méthodes de mesure pourrait ouvrir la voie à une meilleure comparaison et traitement des données, à une optimisation de la sélection d’un provider, ou encore à la possibilité d’appliquer davantage de filtres (en exigeant, par exemple, un seuil maximal d’émissions de carbone), etc.

La quantification pourrait par ailleurs améliorer la conformité à l’égard des différentes contraintes réglementaires. Sa nature « mesurable et/ou chiffrée » comporte la possibilité de pouvoir automatiser en partie les processus de reporting et de due diligence. La prédéfinition des méthodes d’analyse extra-financière par l’utilisation de mesures vérifiables et communes permet un suivi et un contrôle permanent clair et formalisé. Cette approche plus « objective » réduit également la possibilité de conflits d’intérêt liés à l’analyse extra-financière (e.g. une entreprise se voit accorder une notation plus ou moins avantageuse selon les relations qu’elle entretient avec l’analyste ou l’entité d’analyse en question).

Les potentielles applications sont encourageantes, mais pouvons-nous réellement (et réalistiquement) espérer que la quantification soit une solution pérenne à notre « paradoxe » initial ? Pour étudier l’ensemble de son potentiel, deux approches étaient nécessaires.

1 – Le développement de la finance durable via la quantification de critères ESG : les efforts de standardisation et la recherche de performance extra-financière

Les acteurs et leurs différents objectifs ont tous contribué en partie au développement de la quantification. L’UE, par exemple, a cherché à standardiser les pratiques des différentes places financières européennes en mettant en place un vaste nombre de textes ces dernières années – fruit de leur « plan d’action pour la finance durable » – qui s’appuient sur des critères mesurables. La quantification est aussi de plus en plus utilisée par les autorités de tutelle et les différents Labels d’Investissement Socialement Responsable pour contrer des pratiques de greenwashing par les SGP. Ces efforts de transition via la quantification ESG viennent également s’appliquer aux sociétés non-financières. La Directive 2014/95/UE (ou Non Financial Reporting Directive), qui exige la publication annuelle d’informations et KPIs sur des enjeux ESG, sera bientôt remplacée par la nouvelle Corporate Sustainability Reporting Directive, dont le scope d’application est plus large et les exigences plus quantitatives afin d’accompagner le développement réglementaire de la finance durable.

L’intégration de données ESG par les acteurs privés dans leur activité a également contribué au développement de la quantification. Le besoin continu de ces acteurs de démontrer leur progrès sur la durabilité de leurs pratiques et de surperformer leurs concurrents, a contribué à la naissance de différentes méthodes et services de quantification qui aident et incitent les investisseurs à analyser leur profil ESG de manière plus efficace. La quantification devient alors une plus-value pour ces émetteurs et pour les places financières dans lesquelles elles sont cotées. Les appels à l’expertise et les analyses des agences de rating ESG et des data providers ont connu un essor qui n’est pas sans ses défis. La consolidation par des grands acteurs américains, par exemple, peut venir ralentir les efforts d’harmonisation dû à leur cadre réglementaire moins développé, voire augmenter le risque de conflits d’intérêt dans les analyses.

Deux besoins subsistent alors :

  • Il faut un cadre réglementaire plus fort afin d’encadrer les pratiques de notation ESG ; et
  • Il faut que des due diligences soient effectuées sur ces providers et sur leurs méthodologies.

2 – La quantification comme outil d’optimisation des processus opérationnels et de conformité : analyse des pratiques et méthodologies d’intégration ESG

Afin de vérifier si la quantification peut être une solution pratique qui contribuerait à la qualité générale de l’intégration ESG et, par conséquent, des analyses qui en découlent, 4 études comparatives ont été effectuées :

  • Nous regardons tout d’abord comment les SGP ont commencé à créer leurs propres processus internes d’analyse et de scoring En analysant les différences entre 20 SGP, nous recommandons 5 bonnes pratiques pouvant potentiellement accroître la transparence et l’indépendance des analyses internes.
  • Nous analysons ensuite les méthodologies d’intégration d’un échantillon de 5 SGP de petite et moyenne taille. Plus une entité recherche la matérialité (e. pertinence financière) d’un profil ESG, plus elle aura tendance à intégrer davantage les données dans leurs processus de décision d’investissement via des indicateurs quantitatifs et des modèles de calcul. On observe également, sans surprise, que l’activité des petites structures n’est pas alignée avec les 5 recommandations de la première étude, faute d’un manque de ressources ou d’une formalisation nécessaire à leur prise en compte. Quant aux autres SGP, plus la quantification est utilisée, plus on voit des diligences être effectuées sur les données fournies, afin de les améliorer en cas de besoin avant l’intégration.
  • La quantification semblerait améliorer l’efficacité et la qualité du traitement et de l’intégration de données fournies par un tiers. Cependant, si elle est appliquée dans le cadre d’une approche majoritairement qualitative, un risque de manipulation de l’analyse subsiste. On compare dès lors l’importance des indicateurs quantitatifs face à l’analyse qualitative, aussi bien pour l’efficacité opérationnelle des analystes ESG que pour l’amélioration des processus de compliance et de transparence.
  • Finalement, nous construisons un processus de sélection d’indicateurs quantitatifs en trois étapes, afin de maximiser son impartialité et la pertinence des indicateurs retenus. Nous proposons enfin une liste de 15 indicateurs pouvant être communément utilisée par des SGP souhaitant débuter (ou renforcer) une intégration formalisée de données extra-financières. Cette liste et sa méthode de sélection concilient une recherche efficace de ces données, une standardisation avec la place financière (afin de pouvoir obtenir ces données plus facilement auprès des émetteurs) et enfin une conformité plus efficace avec les futures exigences réglementaires.

La nécessité d’un encadrement réglementaire : la quantification comme solution temporaire

Pour conclure, nous pouvons relever que des travaux réglementaires sont déjà en cours afin de mieux encadrer les agences de notation ESG. Les exigences pourraient, selon certains auteurs, être similaires à celles du Règlement Benchmarks, avec des définitions et des méthodes de calcul communes et ayant davantage recours à la quantification. Il convient également de souligner, que le but de la quantification n’est pas de remplacer une analyse qualitative, mais simplement de la complémenter, de la rendre plus fiable et légitime. Néanmoins, nous pouvons résumer cette étude de la façon suivante :

  • Sans standardisation via un encadrement réglementaire des providers et des pratiques d’intégration ESG, la lutte contre le greenwashing et le développement de la finance durable sera considérablement plus compliquée.

Mais d’ici à ce que le régulateur puisse davantage encadrer ces pratiques, les SGP et leurs clients peuvent s’appuyer sur la quantification afin de renforcer la qualité de leur intégration ESG, aussi bien pour traiter des données externes que pour se conformer à la publication de leurs propres données internes.

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