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Cet article est tiré d’une intervention de Dominique Lamoureux, président du Cercle d’Éthique des Affaires, lors d’un séminaire qui s’est tenu le 21 juin 2021 sur l’actualité internationale et comparée de l’éthique des affaires, organisé par l’Observatoire de l’Éthique Publique, l’Université de Bourgogne et le Centre de Recherche sur le Droits des Marchés et des Investissements Internationaux.

Un contexte de défiance

Assiste-t-on actuellement à une révolution copernicienne dans la gouvernance du monde ? Certains indices le laissent effectivement penser.

Alors que les enjeux et problématiques qui concernent l’avenir des humains se posent désormais à une échelle planétaire – pandémies, dérèglement climatique, crise économique, hausse des inégalités, criminalité économique, menaces exo-atmosphériques, etc. – les institutions en charge des mesures de politiques internationales subissent en effet une violente remise en question de leur légitimité.

Ainsi, parmi les 193 états membres de l’organisation des Nations-Unies, nombre d’entre eux révèlent une grande faiblesse structurelle de leurs institutions politiques causée notamment par le fléau de la corruption. Dans les pays démocratiques, les horizons politiques, souvent limités par les échéances électorales, semblent se borner à une gestion de court-terme, conduisant à une indifférence et une perte de confiance inédites à l’endroit des institutions publiques[1]. Enfin, force est de constater à travers le monde un réveil des égoïsmes nationaux, alliés bien souvent à des populismes agressifs qui mettent à mal, dans un monde « VUCA[2] », le multilatéralisme hérité du second conflit mondial.

Le rôle nouveau des entreprises

Face à ce constat d’impuissance, États et communauté d’États semblent déterminer à transférer aux entreprises une partie de la gouvernance de la Planète. Globales, financièrement puissantes, innovantes et dotées d’un capital informationnel important, ces dernières sont considérées comme pouvant développer des visions de long-terme.

A ce titre, le Global Compact, créé en 2000 par les Nations Unies sous l’égide de son secrétaire Général, Kofi Annan, invite les entreprises, sur la base du volontariat, à adhérer, soutenir, appliquer et promouvoir dix principes tirés de textes fondateurs de droit international [3]. Ils portent sur le respect des droits de l’Homme, des normes internationales du travail, la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption.

Plus de vingt ans après le lancement de cette initiative, plus de 14 000 entreprises y ont adhéré, dont plus de 1 400, rien qu’en France.

De la même manière, les Principes directeurs de l’OCDE applicables aux Entreprises Multinationales ou plus récemment les 17 Objectifs du Développement Durable, promus par M. Ban Ki Moon, entendent offrir un cadre d’engagement aux entreprises qui le souhaitent.

Contraignante cette fois-ci, la loi française portant sur le Devoir de Vigilance des sociétés donneuses d’ordre, bientôt dupliquée à l’échelle européenne, rend obligatoire la mise en place en place de politiques RSE d’évaluation des tiers sur les thématiques identifiées par les Global Compact.

Des avantages aux limites de la démarche 

Si le projet de loi porté par la Commission Européenne pourrait prévoir des amendes en cas de non-respect du texte, il est à noter que la plupart des textes susmentionnés, et notamment la loi devoir de vigilance, ne prévoient, quant à eux, aucune sanction. A l’heure des réseaux sociaux, la menace pesant sur la réputation et l’image de marque des organisations privées et publiques qui ignoreraient ces textes suffit généralement à convaincre les plus réticentes.

De plus en plus, les démarches de responsabilité s’inscrivent même dans les stratégies d’entreprise. En répondant avec une meilleure acuité aux problématiques de ses parties prenantes, l’entreprise responsable détient sur ses concurrents un avantage compétitif qui peut se transformer en élément différenciant si les pratiques de cette dernière se démarquent au sein de son secteur d’activité.

Si le transfert de responsabilité des États vers les sociétés multinationales semble donc à priori remplir les objectifs fixés, il convient néanmoins de rester vigilant et de continuer à interroger la légitimité des entreprises à dire « le Bien et le Mal », à (co)piloter la gouvernance de la Planète ou à gérer les Biens Communs. Rappelons à ce titre que les acteurs du secteur privé répondent avant tout à des logiques de profitabilité et de rentabilité qui rendent absolument nécessaire le retour de politiques publiques responsables et inscrite dans le temps long.

[1] En France, cette indifférence a bien été illustrée par le score inédit de l’abstention (près de 66%) lors des dernières élections régionales de juin 2021.

[2] En anglais, l’acronyme “VUCA” est utilisé pour désigner un monde dont les principales caractéristiques sont : Volatility, uncertainty, complexity and ambiguity

[3] Les dix principes sont notamment inspirés de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du travail, de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, et de la Convention de l’ONU contre la corruption.

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